Pierre Jean Jouve est un écrivain poète dont Eros hante les œuvres. En 1928, il publie Hecate, premier opus d'un diptyque achevé par Vagadu trois ans plus tard. Les deux romans ont pour personnage principal Catherine Crachat, star de cinéma. Dans l'extrait suivant, nulle description explicite mais une conclusion indéterminée laissant toute liberté au lecteur d'imaginer les "précisions obscènes et rêvées" (citation de Marie Depussé)
Catherine était dans un train qui arrivait à Paris de je ne sais où, de Bâle, ou de Marseille. Catherine Crachat est très belle. Le train avait roulé toute la nuit et nul n'était joli à voir. Cependant il y avait deux hommes dans le compartiment de Catherine. L'un de ces hommes (fort, brun, énergique, je me souviens bien) n'avait pas fermé l'œil depuis le départ, pour ne rien perdre de Catherine somnolente.
Personne sur le quai pour Catherine ; une actrice de cinéma qui revient de tourner dans les montagnes ou près de la mer, ce n'est pas attendu. Catherine sautait sur le quai avec ses longues jambes, vivement, et disparaissait tout de suite. Le monsieur brun avait en vain essayé de la suivre. Catherine emportait un regret, ou disons, un sentiment bizarre.
Un quart d'heure plus tard dans une rame de voitures bloquées rue de Rivoli, le monsieur brun se trouvait à côté d'elle, tous deux immobiles en taxi. Tiens, c'est drôle. Au soleil il paraissait un individu bon et intelligent quelconque. Elle détournait les yeux pour ne pas "l'assassiner", mais apercevant la joie agressive de cet homme elle savait que déjà maintenant elle agissait fortement en lui. Le taxi du monsieur brun collait au sien, alors elle donnait plusieurs ordres contradictoires à son chauffeur et parvenait à semer l'amoureux (puisqu'elle n'éprouvait rien). D'ailleurs elle est peu portée à l'amour facile. Et il faut le remarquer avant d'entendre la suite de l'histoire : Catherine est généralement très froide à l'égard du plaisir, très froide, sauf les circonstances du vrai amour qu'elle a positivement connues, et même lui a-t-il fallu une sorte de grâce dans ces circonstances. Elle n'est pas maternelle et n'a aucune habitude de tendresse. Enfin ce n'est pas celle qui jouit de sa méchanceté, et pourtant souffrir et remuer la souffrance en soi et dans les autres a pour elle de la vertu, car n'est-ce-pas par ce mauvais chemin que l'on va vers une purification?
Tout de même, elle se sentait absolument sur le point de céder au monsieur brun. A quatre heures en fumant une cigarette sur son balcon chaud par-dessus la rue (c'était en été) elle eut la sensation (le désir) d'entendre le voyageur parler en bas avec la concierge Mme Pouche. Elle se pencha. A la nuit elle alla exprès s'asseoir à la terrasse d'un café sur le boulevard voisin. Et naturellement elle vit surgir le monsieur brun qui se mit à côté d'elle.
Catherine lui demanda son nom et lui dit : "Je dois passer la soirée chez une amie, voulez-vous m'accompagner? Nous finissons par nous connaître." Ils allèrent chez une dame fort bien habitant avenue de Valois, qui se nomme Marguerite de Douxmaison. Elle le présenta comme son cousin ou n'importe quoi. Là ils s'observèrent et frôlèrent pendant une heure ou deux. Puis elle le ramena chez elle. Ils parlèrent en buvant du thé de voyages, d'affaires de bourse et de sentiments de famille. Ensuite elle fit des choses assez grossières avec cet homme jusqu'au matin.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire