4 oct. 2009

François Weyergans

En 2005, huit ans après son précédent roman, François Weyergans publie Trois jours chez ma mère, récit d'un écrivain qui n'arrive pas à écrire son roman, récit miroir aux multiples reflets. Ce livre a obtenu le Prix Goncourt.

Au Lido , ils avaient chacun une chambre mais dans l’une de ces chambres dormait une amie de Liisa et dans l’autre s’inquiétait ou s’affolait Isabella, la jeune épouse de François Graffenberg qu’on aurait étonnée en lui disant qu’il essaierait trente ans plus tard de décrire cette nuit d’amour dans un roman.
François avait esquissé une page de notes sur cette nuit-là : « Liisa en robe longue, velours et mousseline de soie. François Weyerstein en smoking. Errance toute la nuit dans Venise. Rues désertes. Ils s’arrêtent tous les dix mètres pour s’embrasser. C’est la cinquième fois qu’il vient à Venise, une ville que Liisa, arrivée l’avant-veille, découvre avec lui. Les hôtels qu’il connaît, le Bonvecchiati, le San Fantin, l’Ala, ceux de la Riva degli Schiavoni, même le Danieli trop cher pour eux, portes fermées. Ils sonnent, on leur dit que c’est complet. Ils marchent beaucoup. Liisa finit par enlever ses escarpins à talon aiguille. Sur la Piazzetta, les chaises des cafés n’ont pas été rentrées. Liisa s’assied sur les genoux de Weyerstein qu’elle embrasse dans la bouche. Ils se remettent à marcher. Un campiello, un autre baiser, un sottoportico, encore un baiser, les canaux, les ponts. Ils traversent dix fois le même campo. Liisa a les épaules nues, des épaules arrondies, un peu grasses, moelleuses, on dirait des confiseries orientales dans une ville qui l’est aussi, des épaules qui brillent et que le narrateur dévore, caresse, embrasse comme s’il avait quinze ans – il en a vingt-trois. Elle le masturbe. Elle a du sperme sur la main. Elle rit en se léchant la main. A genoux devant elle, il soulève la robe, descend la culotte, elle dit : « Non, pas ici ! » Il a la moitié du corps sous la robe longue de Liisa. Il aime l’odeur et le goût de son sexe. Elle jouit en tremblant. Elle tombe sur lui. Ils tombent tous les deux. Leurs vêtements sont froissés. Le jour se lève. Ils découvrent le marché en bas du pont du Rialto. Contraste entre les marchands, les premiers acheteurs matinaux, les poissons et ce jeune couple en tenue de soirée. Place Saint-Marc, la basilique vient d’ouvrir ses portes. Nouveau contraste entre les fidèles venus assister à la première messe et ces jeunes gens dont il n’est pas difficile de deviner qu’ils ont joui plusieurs fois dans la nuit. Liisa a remis ses escarpins et marche sur le merveilleux dallage de la basilique. Les yeux verts de Liisa éclairés par les cierges dont elle s’approche. Elle est actrice de cinéma, elle a le sens de la lumière. A l’hôtel, Weyerstein retrouve sa femme en pleurs, folle de rage et d’inquiétude. Elle l’a cherché toute la nuit, elle est allée à l’hôpital du Lido. Il répond qu’il était à Venise avec un producteur et qu’il a dû attendre le premier bateau. « Les premiers bateaux n’arrivent pas au Lido à midi. Salaud, tu es un salaud ! Et c’est quoi ce parfum ? Tu pues ! Salaud ! Salaud ! »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire