17 déc. 2018

Juan José Saer


L'écrivain argentin Juan José Saer a publié en 1983 L'ancêtre, traduit en français en 1988. Un jeune espagnol partage la vie d'une tribu d'Indiens qui ont massacré ses compagnons d'expédition. Et il y est témoin de scènes hallucinantes et fantasmatiques d'anthropophagie et d'orgie.


Le crépuscule s'emplit de halètements, de cris étouffés, de soupirs, de râles, de lamentations. Certains s'ébattaient par couples, d'autres en trios, ou à quatre ou cinq, et même en groupes d'une douzaine et plus. Une petite fille de sept ans à peine, à quatre pattes, entrouvrait d'une main décidée sa vulve serrée en provoquant d'un regard vicieux, par-dessus son épaule, un jeune garçon qui attendait, debout derrière elle, un gros bâton lisse et arrondi dans une main, et qui, de l'autre , caressait sa verge pour anticiper son plaisir. Un homme se flagellait avec une branche feuillue. Deux autres, couchés sur le côté, tête-bêche, suçaient chacun, absorbés, le membre de l'autre. Il y en avait qui s'accouplaient, eût-on dit, avec un être invisible car, si c'étaient des hommes, ils fendaient l'air de leur verge en un va-et-vient continu et , si c'étaient des femmes, elles se contorsionnaient à quatre pattes et remuaient leur croupe comme si, véritablement, elles eussent quelqu'un en elles, à tel point qu'on voyait parfois jaillir l'achèvement comme dans un accouplement véritable ou bien qu'on entendait les femmes gémir comme lorsqu'elles atteignent, pénétrées pour de bon, le paroxysme.