20 mai 2018

Sofi Oksanen

Figure phare de la scène littéraire finlandaise, Sofi Oksanen a publié en 2008 Purge, qui obtient en France le prix Femina étranger 2010. Ce roman est l'histoire de deux femmes et à travers elles l'histoire d'un pays, l'Estonie. L'une d'elle est la jeune Zara, séquestrée et contrainte à la prostitution par la mafia russe. Dans un bordel berlinois, Zara est Natacha.


Personne ne demandait d'où elle venait, ou ce qu'elle ferait si elle n'était pas ici.
Parfois quelqu'un demandait ce qu'aimait Natacha, ce qui faisait mouiller Natacha, comment Natacha voulait se faire baiser.
Parfois quelqu'un demandait ce qui la faisait jouir.
Et c'était encore pire, parce qu'elle n'avait pas de réponse à ça.
Si on interrogeait Natacha, elle avait des réponses toutes prêtes.
Si on l'interrogeait elle-même, il fallait un petit moment pour qu'elle ait le temps de se demander ce qu'elle répondrait si on posait une question sur Natacha.
Et ce petit moment révélait au client qu'elle mentait.
Alors commençaient les exigences.
Mais cela arrivait rarement, presque jamais.
En général, elle devait juste dire qu'on ne l'avait jamais aussi bien baisée. C'était important pour le client. Et la plupart le croyaient.
Tout ce sperme, tous ces poils, tous ces poils dans la gorge et pourtant la tomate avait toujours un goût de tomate, le fromage de fromage, la tomate et le fromage ensemble de tomate et de fromage, même si dans la gorge elle avait toujours des poils. Ça voulait sans doute dire qu'elle était encore vivante...

12 mai 2018

Edgar Hilsenrath

Edgar Hilsenrath a obtenu une reconnaissance tardive. La faute à des romans qui traitent de la Shoah sur un mode plutôt cru. Orgasme à Moscou fut publié en 1979 en Allemagne et seulement en 2013 en France. C'est un roman loufoque, parodie d'un roman d'espionnage, qui met en scène notamment la mafia américaine et son boss Nino Pepperoni.


 Nino Pepperoni buvait à petites gorgées sans quitter son avocat des yeux. Sa moumoute est de travers, pensa-t-il. Sur le sommet du crâne, à la naissance de la raie factice, il y a une tâche visqueuse, ni grise ni blanche, comme un glaviot. Nino Pepperoni réfléchit. Qui s'amuserait à cracher sur la moumoute d'Archibald Seymour Slivovitz ? Absurde. Il doit y avoir une autre explication. Je parie qu'il a sauté sa secrétaire et fourré sa tête entre ses cuisses. C'est clair comme de l'eau de roche : moumoute de travers, tache visqueuse, tout se tient.-
L'Alka-Seltzer commençait à produire son effet. Nino Pepperoni lâcha un rôt tonitruant, Archibald Seymour Slivovitz releva la tête en sursaut.
- Paraît qu'il y a des porcs pervers qui fourrent leur tête entre les cuisses de leurs secrétaires à la recherche de je ne sais quoi, dit Nino Pepperoni.
- Quelque pièce égarée d'un dossier égaré peut-être, dit Mr. Slivovitz.
- Ça m'étonnerait, dit Nino Pepperoni.
Mr. Slivovitz réfléchit.
- Peut-être se cherchent-ils eux-mêmes, finit-il par dire.
- Qu'entendez-vous par là ?
- L'origine du monde ! J'ai lu ça un jour quelque part : l'homme se cherche en la femme.
- Tiens. Je l'ignorais. Je ne lis jamais de livres. Mais pourquoi diable entre ses cuisses ?
- Parce que là se trouve un miroir, dit Mr. Slivovitz. Un miroir invisible.
Nino Pepperoni hocha la tête.
- Les propriétaires de ces miroirs invisibles règnent sur ce monde depuis la nuit des temps, dit Mr. Slivovitz. Pas officiellement, bien sûr...par des voies détournées, mystérieuses.
- Je n'en crois pas un mot, dit Nino Pepperoni.
- Puisque je vous le dis, dit Mr. Slivovitz.
- Ma femme le sait, vous pensez ? demanda Nino Pepperoni.
- Allez savoir, dit Mr. Slivovitz.

7 mai 2018

Charles Bukowski

Le répugnant Charles Bukowski mérite bien une seconde présence en ces lieux, huit ans après une première entrée. Extrait de la nouvelle Le jour où nous avons parlé de James Thurber, publiée dans le recueil des Contes de la folie ordinaire (1967 - 1972). Le brave Charles se fait passer pour André, poète français dont la réputation de French Lover attire les foules.


J'ai enfilé l'un des kimonos d'André et j'ai ouvert.
C'était un jeune type avec une fille. Une de celles qui se trimbalent en mini et talons aiguilles, avec des bas nylon qui prennent bien le cul; L'autre était un gamin efflanqué, genre minet de grand couturier dans son tee-shirt blanc. Il ouvrait la bouche et écartait les bras comme s'il se préparait à décoller.
La fille a demandé :
- André ?
- Non, Charles Bukowski. On m'appelle Hank.
- André, c'est une blague !
- Ouais. Toute ma vie est une blague.
Dehors tombait une petite pluie. Ils attendaient.
- Allez, entrez, vous allez vous tremper.
- Je te reconnais, André ! dit la mignonne. C'est bien tes rides. Dis-donc, tu as au moins deux cents ans !
- Ça va, ça va. Oui c'est moi André. Venez.
Ils apportaient deux bouteilles de vin. Je suis allé chercher le tire-bouchon et les verres à la cuisine, et j'ai servi la tournée. J'étais debout le verre à la main, lorgnant un maximum la paire de jambes, quand le gamin s'est précipité, a ouvert ma braguette et s'est mis à me sucer la queue, dans un grand bruit de gosier. Je lui ai caressé les cheveux et j'ai demandé son nom à la fille.
- Wendy. Tu sais, André, pour moi tu as toujours été un écrivain formidable. A mon avis, l'un des plus grands poètes vivants.
Le gosse continuait sa besogne, il suçait, pompait, sa tête allait et venait comme un drôle d'automate.
- L'un des plus grands poètes... Tiens tiens : et qui sont les autres ?
- Il n'y en a qu'un, dit Wendy. Ezra Pound.
- Ezra m'a toujours rasé.
- C'est vrai ?
- tout ce qu'il y a de plus vrai Ce mec n'est qu'un polar. Super sérieux, super chiadé. En fait, un honnête tâcheron.
- Et pourquoi signes-tu simplement 'André' ?
- Parce que ça me plaît.
Le type y allait vraiment de bon coeur. Je lui ai pris la tête pour le serrer contre moi, et j'ai tout lâché.
J'ai refermé ma braguette et j'ai resservi une tournée.
Je n'ai aucune idée du temps qu'on a passé ensuite, à boire et à faire salon. Wendy avait des jambes superbes et des chevilles très fines qui gigotaient comme si elle avait le eu au derrière. Ces deux-là connaissaient la littérature sur le bout des doigts. On a parlé du Winsburg de Sherwood Anderson, de Dos Passos, Camus, et des familles célèbres, les Brontë, les Dickey, les Crane. De Balzac aussi, et même de James Thurber.