5 janv. 2010

Jonathan Littell

Jonathan Littell publie en 2006 Les Bienveillantes, titre rappelant Eschyle et les Euménides de l’Orestie. Il obtient avec ce livre très controversé le prix Goncourt et un succès public très important. Cet imposant roman structuré comme une suite de Bach, construit comme une confession, retrace l'itinéraire d'un officier nazi pendant la guerre.



Lorsque je regardais des filles, essayais de m’imaginer prenant leur seins laiteux dans ma bouche puis frottant ma verge dans leurs muqueuses, je me disais : À quoi bon, ce n’est pas elle et ce ne le sera jamais. Mieux vaut donc que moi-même je sois elle et tous les autres, moi. Ces autres, je ne les aimais pas, je vous l’ai expliqué du premier abord. Ma bouche, mes mains, ma verge, mon cul les désiraient parfois intensément, à en perdre le souffle, mais d’eux je ne voulais que leurs mains, leur verge et leur bouche. Cela ne veut pas dire que je ne ressentais rien. Lorsque je contemplais le beau corps nu de Partenau, déjà si cruellement blessé, une angoisse sourde m’envahissait : si je passais mes doigts sur son sein, effleurant la pointe puis sa cicatrice, j’imaginais ce sein de nouveau écrasé par le métal ; lorsque j’embrassais ses lèvres, je voyais sa mâchoire arrachée par un éclat brûlant de shrapnel ; et quand je descendais entre ses jambes, me plongeais dans ses organes luxuriants, je savais que quelque part une mine attendait, prête à les déchiqueter. Ses bras puissants, ses cuisses agiles étaient également vulnérables, aucune partie de son corps chéri n’était à l’abri. Le mois prochain, dans une semaine, demain même, toute cette si belle et douce chair pouvait en un instant se transformer en viande, en une masse sanguinolente et carbonisée, et ses yeux si verts s’éteindre pour toujours.

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