9 janv. 2010

Claude Simon

Claude Simon publie La route des Flandres en 1960. Dans l'extrait présenté s'entremêlent les souvenirs de soldat et d'amant. Claude Simon a reçu le prix Nobel de littérature, venu couronner une oeuvre qui est magma de mots et d'émotions comme l'a qualifiée lui-même l'écrivain.



cela me tomba dessus comme si on m’avait jeté brusquement sur la tête une couverture m’emprisonnant, tout à coup tout fut complètement noir, peut-être étais-je mort peut-être cette sentinelle avait-elle tiré la première et plus vite, peut-être étais-je toujours couché là-bas dans l’herbe odorante du fossé dans ce sillon de la terre respirant humant sa noire et âcre senteur d’humus lappant son chose rose mais non pas rose rien que le noir dans les ténèbres touffues me léchant le visage mais en tout cas mes mains ma langue pouvant la toucher la connaître m’assurer, mes mains aveugles rassurées la touchant partout courant sur elle son dos son ventre avec un bruit de soie rencontrant cette touffe broussailleuse poussant comme étrangère parasite sur sa nudité lisse, je n’en finissais pas de la parcourir rampant sous elle explorant dans la nuit découvrant son corps immense et ténébreux, comme sous une chèvre nourricière, la chèvre-pied (il disait qu’il faisait ça aussi bien avec leurs chèvres qu’avec leurs femmes ou leurs sœurs) suçant le parfum de ses mamelles de bronze atteignant enfin cette touffeur lappant m’enivrant blotti au creux soyeux de ses cuisses je pouvais voir ses fesses au-dessus de moi luisant faiblement phosphorescentes bleuâtres dans la nuit tandis que je buvais sans fin sentant cette tige sortie de moi cet arbre poussant ramifiant ses racines à l’intérieur de mon ventre mes reins m’enserrant lierre griffu se glissant le long de mon dos enveloppant ma nuque comme une main, il me semblait rapetisser à mesure qu’il grandissait se nourrissant de moi devenant moi ou plutôt moi devenant lui et il ne restait plus alors de mon corps qu’un fœtus ratatiné rapetissé couché entre les lèvres du fossé comme si je pouvais m’y fondre y disparaître m’y engloutir accroché comme ces petits singes sous le ventre de leur mère à son ventre à ses seins multiples m’enfouissant dans cette moiteur fauve je dis N’allume pas, j’attrapai son bras au vol elle avait un goût de coquillage salé je ne voulais connaître, savoir rien d’autre, rien que lapper sa

et elle : Mais tu ne m’aimes pas vraiment
et moi : Oh bon Dieu
et elle : Pas moi ce n’est pas moi que tu
et moi : Oh bon Dieu pendant cinq ans depuis cinq ans
et elle : Mais pas moi je le sais pas moi M’aimes tu pour ce que je suis m’aurais tu aimé sans je veux dire si
et moi : Oh non écoute qu’est ce que ça peut faire laisse-moi te Qu’est ce que ça peut faire à quoi ça rime laisse-moi je veux te

moule humide d’où sortaient où j’avais appris à estamper…

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