29 sept. 2009

Zhou Weihui

Le premier roman de la Chinoise Zhou Weihui, Shanghaï Baby, est publié en 1999 et connaît un succès inattendu qui pousse les autorités à le censurer et à détruire les exemplaires non vendus. Ce fut la meilleure promotion possible pour sa carrière dans les pays occidentaux. Le livre sort en France en 2001.


Le téléphone sonne alors qu’il est en train de me déshabiller. Je décroche le combiné, c’est Tiantian.
Sa voix est lointaine mais me parvient clairement mis à part quelques grésillements et miaulements dans l’appareil. Tiantian loge dans un hôtel du bord de mer. A cause de la crise monétaire asiatique, les prix ont chuté. Les chambres et la nourriture sont maintenant très abordables. Avec deux cents yuans par jour, vous couvrez largement vos dépenses. Il dit être le seul client à aller au sauna. Il a l’air heureux. Pelote se porte bien. Demain, il compte aller à la plage et nager.
Je ne sais pas quoi lui dire. Mark m’a installée sur la table, près du téléphone. Je tiens le combiné d’une main et de l’autre son épaule. La tête penchée sur mon ventre, il lèche mon sexe à travers ma petite culotte. Je suis liquéfiée, grisée par la chatouille. Je m’efforce de paraître naturelle au téléphone. Je demande à Tiantian quelle est la température ambiante, quels types de jupes portent les filles, s’il a été faire un tour sous les cocotiers, s’il ne s’est pas fait importuner. Les gens ont toujours l’air de bonne foi et laissent rarement transparaître leurs mauvaises intentions – fais bien attention à tes effets personnels !
Tiantian éclate de rire et me dit que je suis finalement bien plus méfiante que lui, que je n’ai confiance en personne et imagine toujours le pire. Il me dit aussi que j’aborde la vie de façon négative. Les paroles de Tiantian me parviennent aux oreilles comme de petites plumes légères qui se désagrègent. Je n’ai rien retenu de ce qu’il m’a dit. Son rire dit qu’il s’adapte mieux que je ne l’aurais imaginé à un environnement inconnu. Sa voix se transforme en du Beethoven joué à la lune et vient mettre un terme à mon désordre intérieur. Je ne sens plus qu’un bonheur intense qui m’arrive par le bas. Un bonheur de couleur blanche qui vous détend les muscles et vous dilate les os. Un parfum velouté de lait pur. Tiantian me souhaite le bonsoir et m’envoie des baisers sonores à travers le téléphone.
Je raccroche. Mark a répandu son foutre sur ma jupe. Blanc, abondant, du lait pur à cent pour cent.

27 sept. 2009

Philip Roth

Portnoy et son complexe fut partiellement publié par fragments dans différentes revues littéraires en 1967 et 1968 puis dans son intégralité en 1969.
C'est la confession à un psychanalyste d’Alexander Portnoy , juif new-yorkais, l’éternel bubala de sa mère, tiraillé entre ses obsessions sexuelles et ses idéaux humanitaires.


… on prie, on prie, et on prie, on élève vers Dieu ses oraisons les plus passionnées sur l’autel du siège des cabinets, tout au long de l’adolescence, on Lui offre le sacrifice vivant de ses spermatozoïdes au décalitre – et puis un soir, vers minuit, à l’angle de Lexington et de la 52e, lorsqu’on est vraiment arrivé au point de perdre sa foi dans l’existence d’une créature telle qu’on se l’est imaginée pour soi-même alors qu’on a déjà doublé le cap des trente-deux ans, elle est là en tailleur pantalon marron, essayant d’arrêter un taxi – longue et mince, avec une opulente chevelure brune, des traits minuscules qui confèrent à son visage une espèce d’expression arrogante, et un cul absolument fantastique.
Pourquoi pas? Qu’y a-t-il de perdu? Qu’y a-t-il de gagné d’ailleurs? Allez, vas-y, pauvre corniaud, ligoté, garrotté, menotté, parle-lui. Elle possède un cul avec les rondeurs et le sillon médian du brugnon le plus parfait du monde ! Parle !
« ’Soir – doucement et avec un soupçon de surprise, comme si je l’avais peut-être déjà rencontrée ailleurs… »
« Qu’est ce que vous voulez ? »
« Vous offrir un verre »
« Un vrai tombeur », dit-elle en ricanant. Au rapporteur adjoint à la commission de la Promotion de l’Homme, pour cette ville tout entière ! « Te brouter le minou, bébé, ça te dit ? » Mon Dieu ! Elle va appeler un flic ! Qui me livrera au maire !
« C’est déjà mieux », répondit-elle.
Et alors un taxi s’est arrêté et nous sommes allés à son appartement où elle a enlevé ses vêtements et m’a dit, « Vas-y. »
Mon incrédulité ! Qu’une chose pareille puisse m’arriver à moi ! Et si j’ai brouté ! C’était soudain comme si ma vie s’introduisait au cœur d’un rêve humide. J’étais là, bouffant enfin le con de la vedette de tous ces films pornographiques que j’avais produits dans ma tête depuis que j’avais pour la première fois posé la main sur mon propre nœud… « Et maintenant, à moi », dit-elle – « un service en mérite un autre », et docteur, cette inconnue s’est alors mise en devoir de me sucer avec une bouche qui devait avoir suivi des cours dans un collège spécialisé pour y apprendre tous les merveilleux trucs qu’elle connaissait. Quelle trouvaille, je me suis dit, elle vous la prend jusqu’à la racine ! Dans quelle bouche suis-je tombé ! Parlons-en de promotion ! Puis simultanément : allez, barre-toi ! Fous le camp ! Qu’est ce que ça peut bien être que cette fille !

25 sept. 2009

Adam Thirlwell

Adam Thirlwell a suscité la controverse pour avoir figurer à 24 ans sur la liste des 20 meilleurs écrivains anglais de moins de 40 ans établie par le magazine Granta en 2003 alors même que son premier roman n’était pas encore publié. Ce fut Politique sorti la même année. Il y est peu question de politique.


Voici un chapitre dans son intégralité :

L’évènement suivant de cette histoire est une pipe.
Je suppose que l’on peut considérer cela comme une bonne chose ou une mauvaise chose. Personnellement, je pense que c’était une bonne chose. Ce n’est pas parce que je pense que les pipes sont intrinsèquement une bonne chose. Bon, c’est vrai, je pense que les pipes sont une bonne chose, je suis rarement contre une pipe, mais ce n’est pas pour cela que je pense qu’une pipe avait sa place ici. J’ai une autre explication. Une grande partie de l’amour dépend du sexe. Il est difficile à l’amour de survivre sans sexe. De sorte qu’en fin de compte, s’ils doivent s’aimer vraiment, Nana et Moshe doivent en venir au sexe. Telle est ma théorie.
C’était aussi la théorie de Nana.
Et il y avait un autre motif caché derrière le comportement de Nana ce matin-là. Elle imaginait la procession infinie des maîtresses précédentes, très entraînées, de Moshe. Aucun doute là-dessus, elles étaient plus entraînées que Nana. Nana ne pouvait rivaliser avec les filles élancées du passé de Moshe. Contrairement à Nana, ces filles parfaites pouvaient marcher sur des talons de quinze centimètres de haut. Leurs poitrines étaient sans soutien-gorge et néanmoins fermes. À leurs membres rompus au yoga nulle position sexuelle n’était étrangère.
Cela devrait être une leçon pour nous tous. Les filles élancées du passé de Moshe. Je ne sais pas. C’est la conclusion d’une fille qui ne croyait pas en son pouvoir attractif. C’est la conclusion naturelle d’une fille qui ne s’enorgueillissait pas de son sex-appeal.
Si seulement les gens ne tiraient jamais de conclusions.
Nana avala de l’eau. Puis sa tête ensommeillée entreprit avec détermination la descente le long du champignon atomique noir des poils soyeux de la poitrine de Moshe, et le long de la ligne verticale moins nette de son nombril à son pubis, jusqu’à ce qu’elle atteigne son sexe. À ce moment, elle ouvrit ses lèvres incertaines enduites de baume et se fit très douce autour de Moshe. Moshe grandit, puis grandit… Il se réveilla de manière ensommeillée. Il sentit de la salive couler tiède puis froide autour de ses testicules. Cela lui procura une grande satisfaction.
Certains peuvent penser, et je le comprends, que l’exécution d’une fellation avant que l’accouplement n’ait eu lieu était contre les règles de l’étiquette sexuelle ordinaire. Cette pipe est une légère surprise, je l’admets. C’est presque une surprise pour moi. Mais l’étiquette sexuelle est variable. Elle doit s’adapter à la conjoncture – qui, dans ce cas, était caractérisée par l’inquiétude. Et dans les conjonctures sexuelles caractérisées par l’inquiétude, les gens ont souvent recours à des pratiques bien plus extrèmes qu’une tendre pipe. Une fellation préliminaire était en réalité bien insipide. Et Nana n’avait pas l’intention de faire à Moshe une pipe complète. Elle ne comptait pas aller jusqu’à l’orgasme. La pipe n’était qu’un avant-goût.
Nana essayait d’accélérer les choses. Dans cette conjoncture nerveuse, tous deux voulaient baiser. En réalité, en secret, ils voulaient avoir baisé. Tel était l’état de nervosité dans lequel ils se trouvaient. Au dessus d’elle, Moshe était nerveux. En dessous, Nana était nerveuse de le rendre nerveux.
La bouche de Nana remonta le long du sexe de Moshe et le quitta. Puis Nana se mit à quatre pattes au dessus de Moshe, et fit courir le bout de sa langue sur ses tétons platement grassouillets, rose sur rose. Et elle faisait preuve de grande bravoure, je trouve. C’est difficile – d’improviser en silence. Et Moshe lui dit : « Dismoi d’tebaiser. » Nana, l’œil concupiscent, se contenta de sourire. Il dit : « Dis-moi. »
Comme chacun sait, le sexe est un jeu de domination.
Nana regardait Moshe. Elle se demandait si Moshe n’allait pas trop vite. Mais comme elle voulait que son chéri rondouillard soit content aussi, elle dit : « Baise-moi. » Elle prononça : « Baizmoi. Baizmoooooi. »
Et alors, et alors, Moshe fut cochon. Il se mit à ralentir. Tel un pro, il se contenta d’insinuer un doigt, touchant son con là où elle était.
Elle en ferma les yeux de bonheur.

23 sept. 2009

Verlaine

Poème écrit en 1891 tiré du recueil Hombres (Hommes) mais seulement publié (discrètement en 525 exemplaires) en 1903 après la mort de Verlaine. Ecrit pour choquer le bourgeois hygiéniste de l'époque.

Un peu de merde et de fromage
Ne sont pas pour effaroucher
Mon nez, ma bouche et mon courage
Dans l’amour de gamahucher.

L’odeur m’est assez gaie en somme,
Du trou du cul de mes amants,
Aigre et fraiche comme la pomme
Dans la moiteur de saints ferments.

Et ma langue que rien ne dompte,
Par la douceur des longs poils roux
Raide et folle de bonne honte
Assouvit là ses plus forts goûts,

Puis pourléchant le périnée
Et les couilles d’un mode lent,
Au long du chibre contournée
S’arrête à la base du gland.

Elle y puise âprement en quête
Du nanan qu’elle mourrait pour,
Sive, la crème de quéquette
Caillée aux éclisses d’amour

Ensuite, après la politesse
Traditionnelle au méat
Rentre dans la bouche où s’empresse
De la suivre le vît béat,

Débordant de foutre qu’avale
Ce moi confit en onction
Parmi l’extase sans rivale
De cette bénédiction !

22 sept. 2009

Thomas Pynchon

Le non explicite redonne le pouvoir à l'imagination souveraine du lecteur, en l'occurence la mienne. Cet extrait de V. publié par Thomas Pynchon entre 1961 et 1963 en est l'illustration. Peut-on tout exprimer par des mots?





Harcelé de questions par Groomsman, Pig finit par laisser entendre que Panky « faisait » , pendant l’acte d’amour, un petit quelque chose qui, selon Pig, avait le don de le tournebouler. Ce qu’était ce petit quelque chose, on ne le sut jamais. Pig, d’ordinaire peu réticent dans ce genre de propos, avait maintenant l’attitude du mystique qui aurait eu une vision, incapable qu’il était ou, peut-être, peu désireux d’exprimer par des mots ce talent ineffable ou surnaturel de Panky.

21 sept. 2009

Philippe Sollers

Extrait de Femmes, roman paru en 1983.


Cyd met un disque lent, il fait nuit, je l’invite à danser… Lynn, un peu renversée en arrière, nous regarde… Cyd va s’asseoir près d’elle, l’embrasse… Voilà… Elles dansent ensemble… On finit assez vite nus tous les trois sur le lit du fond du living… Lynn a une peau fruitée, veloutée… Je la prends doucement, par derrière, pendant qu’elle continue à embrasser Cyd ; je l’encule, et elle me donne vraiment ses fesses avec confiance, générosité… Elle jouit très vite. Après quoi, Cyd lui montre comment elle me suce… Elles ont dû en parler… Et puis, c’est le jeu…A celle qui mangera ma queue, comment se la disputer, en lui faisant un peu mal, pas trop… Elles rient… Elles s’amusent… C’est long, insistant, saoulant… C’est Lynn qui va boire mon sperme… Cyd vient de lui permettre… Je me laisse jouir… Elle y met beaucoup d’attention, de tendresse, son dégoût n’est pas perceptible, l’espace tourne exactement comme il faut… Et puis Lynn donne le lait à Cyd, bouche à bouche… Elles s’embrassent à n’en plus finir… Et Lynn plonge sa tête entre les jambes de Cyd… La suce, maintenant, longuement, savamment… Cyd me donne sa bouche à moi, m’envoie son souffle frais renversé ; elle crie et meurt comme ça, dans ma langue… Bon… C’était la science appliquée trinitaire…Le nœud gomorrhéen dévoilé… J’ai un laissez-passer particulier pour ce genre de séances… Enquêteur reconnu, sérieux, agréable, discret, dégagé… On boit un whisky sans allumer… Le protocole veut que je les laisse, à présent… Elles sont couchées dans les bras l’une de l’autre, roses et brunes, ces blondes, dans la nuit d ‘octobre… Détendues, repues… Bien entendu, elles vont encore faire l’amour après mon départ, dans le style plasma, vampirique… Cyd fera jouir Lynn, il faut que ce soit mieux qu’avec moi… Elles vont se dire des tas de choses, y compris sur moi… Je m’habille, je les embrasse, je sors…

20 sept. 2009

Elfriede Jelinek

La romancière autrichienne a reçu le prix Nobel de littérature en 2004. Voici un très long texte tiré de La Pianiste, roman en partie autobiographique, dans lequel est raconté la vie de l'héroïne Erika Kohut.

… Erika Kohut entraîne l’élève dans le local des femmes de ménage qu’elle sait toujours ouvert. Qu’il montre ce qu’il a dans le ventre ! La femme est l’élément moteur. A lui de montrer ce qu’il n’a jamais appris. Les produits d’entretien dégagent une forte odeur piquante, brosse et balais s’entassent. En introduction Erika demande pardon au jeune homme, jamais elle n’aurait dû lui imposer la lettre. Idée qu’elle développe. Elle tombe à genoux devant Klemmer et s’enfonce dans son ventre récalcitrant avec force baisers maladroits. Ses genoux férus de marche mais non ferrés en subtilités amoureuses baignent dans la poussière. Le local des produits d’entretien est justement le plus sale de tous. Des semelles antidérapantes flambant neuf brillent. Elève et professeur sont chacun rivés à leur petite planète d’amour, à des blocs de glace qui s’écartent l’un de l’autre, continents inhospitaliers à la dérive. Klemmer se sent déjà désagréablement touché par l’humilité, effrayé par les exigences que cette humilité se croit en droit de formuler avec d’autant plus de vigueur qu’elle est à peine rodée.
Cette humilité hurle plus fort que ne le pourrait l’avidité la moins dissimulée. Klemmer répond : relève-toi et tout de suite ! Il voit que devant lui elle a jeté sa fierté par-dessus bord, et met aussitôt la sienne à ne jamais passer par-dessus ce bord. Quitte à s’attacher à la barre. Déjà, et les choses commencent à peine, rien ne saurait plus les réunir, néanmoins ils souhaitent obstinément s’unir. Les sentiments du professeur s’élèvent en un courant ascendant. En fait Klemmer, lui, ne veut pas mais il est obligé, c’est ce qu’on attend de lui. Il serre les genoux, en écolier gêné. La femme s’affole sur ses cuisses, implorant à la fois pardon et estocade. Nous pourrions être si bien ! Des paquets de sa chair claquent sur le sol. Erika Kohut fait une déclaration d’amour qui consiste à n’offrir qu’ennuyeuses exigences, contrats alambiqués, et conventions entourées de mille garanties. De l’amour, Klemmer n’en donne pas. Il ne démarre pas au quart de tour. Il n’y a pas le feu ! Erika décrit jusqu’où, dans telle ou telle circonstance, elle serait prête à aller, alors que Klemmer projette tout au plus une promenade à travers les jardins de l’hôtel de ville sans forcer l’allure. Il la prie : pas aujourd’hui, la semaine prochaine ! J’aurai plus de temps. Ses prières ne servant à rien, il commence secrètement à se caresser, mais tout semble mort. Cette femme le pousse dans un espace qui l’aspire, où son instrument pourtant très demandé ne répond pas à la demande. Pris d’hystérie il tire, tape, secoue. Elle ne s’en est pas encore aperçue. Avalanche d’amour, elle s’abat sur lui. Sanglote déjà, reprend certaines propositions antérieures, en avance d’autres, meilleures, en échange. Comme elle se sent délivrée ! Enfin ! Klemmer œuvre froidement sur son bas-ventre, il tourne la pièce à usiner, la martèle. Des étincelles s’envolent. Les mondes intérieurs jamais aérés de ce professeur de piano l’effrayent. Ils veulent le dévorer tout entier ! Manifestement Erika s’attend à ce qu’il lui offre d’emblée tout ce qu’il a, alors qu’il n’a même pas sorti le bout de sa clarinette pour le lui présenter. Elle fait des gestes d’amour, d’après ce qu’elle imagine. Et ce qu’elle a vu faire à d’autres. Elle donne des signes de maladresse qu’elle prend pour des signes de passion et reçoit en échange des signaux de détresse. Il DOIT à présent, et de ce fait ne PEUT. Il dit comme excuse : pas de ça avec moi, compris ? Erika commence à tirer sur la fermeture-éclair. Sort brutalement la chemise du pantalon et se déchaîne selon les us et coutumes des amoureux. En Klemmer rien ne se passe qui pourrait servir de preuve. Déçue, dans un crissement de semelles, Erika se met bientôt à arpenter le réduit. Elle offre en remplacement un monde de sentiments. Clefs en main. Explique certaines choses par de la surexcitation, de la nervosité, et parle de sa joie malgré tout devant cette preuve extrême d’amour. Klemmer ne peut pas, parce qu’il doit. Le devoir émane de cette femme en ondes magnétiques. Elle est le devoir incarné. Erika s’accroupit, maladresse devenue adulte, calamité repliant gauchement ses os, et vrille des baisers entre les cuisses de l’élève. Le jeune homme gémit, comme si cette persévérance déclenchait quelque chose en lui, mais ses gémissements disent le pire : tu ne m’enchaîneras pas ainsi. Tu ne m’enchaînes pas. Pourtant en principe il est toujours prêt à faire de nouvelles expériences amoureuses. Dans sa détresse il finit par renverser Erika et la frappe légèrement sur la nuque avec l’arête de la main. La tête s’incline obéissante, oublieuse de ce qui l’entoure et qu’elle ne peut plus voir. Excepté le sol du cagibi. La femme s’oublie facilement en amour, elle est présente par si peu d’elle-même qu’elle n’a guère à en tenir compte. Klemmer tend l’oreille vers l’extérieur et trésaille. D’un geste vif et comme s’il enfilait un vieux gant, il rabat la bouche de la femme sur son sexe qui retombait après un bref éclair d’attention. Il ne se passe rien pour lui, il ne se passe rien pour Klemmer, tandis que l’être intime du professeur se meurt humblement au loin.
Klemmer cogne frénétiquement dans sa bouche, mais la preuve se fait attendre. Sa queue débandée flotte, bouchon insensible, sur les eaux d’Erika. Qu’il continue à tirer par les cheveux, qui sait si ce faisant il ne lui poussera pas quelque chose. D’une oreille Klemmer guette si la femme de ménage n’approche pas. Le reste de ses sens est à l’écoute de son sexe, ne s’animera-t-il pas ? Domptée et en même temps rabaissée par l’amour, le professeur lèche tant et plus, une vache avec son nouveau-né. Elle promet que ça finira bien par venir, qu’ils ont le temps tous les deux, maintenant que leur passion ne fait plus de doute ! Surtout pas d’énervement ! Ces promesses mal articulées rendent fou furieux le jeune homme qui dans la voix perçoit l’ordre en demi-ton. Cette supérieure hiérarchique ne lui ordonne-t-elle pas constamment de placer les doigts de telle ou telle façon et d’actionner la pédale à tel passage de la partition ? Ses connaissances musicales la placent au-dessus de lui, mais s’effaçant sous lui elle le dégoûte plus qu’il ne saurait dire. Elle se fait petite devant sa queue qui de son coté reste petite. Klemmer cogne et martèle dans la bouche d’Erika qui se sent pris de nausée. Peine perdue. La bouche à moitié plaine, la femme parvient encore à le consoler avec amour et renvoie à un futur proche. A des joies futures ! Nul ne voit ses yeux ; elle n’est pas aux commandes, elle n’est que cheveux, nuque, toute insondabilité. Un automate d’amour qui ne réagit même plus aux coups de pied. Et l’élève ne veut qu’une chose, y aiguiser son instrument. Instrument qui au fond n’a rien à voir avec le reste de son corps. Alors que l’amour accapare toujours la femme entière. La femme a instinctivement besoin de dépenser son amour en entier en laissant la monnaie. Erika et Walter Klemmer disent de concert, aujourd’hui ça ne marche pas, mais ça marchera bien un jour. Ne pas réussir : pour Erika, le plu solide des gages d’amour. Klemmer enrage de son impuissance et se venge en tenant la femme solidement aux cheveux, à lui faire mal, afin qu’elle n’aille pas lui échapper avec ses habituelles valses-hésitations. Elle est là, profitons-en et tirons comme convenu un bon coup sur les cheveux. D’un commun accord chacun y va de quelques cris d’amour.
Mais devant cette tâche l’étoile de l’élève pâlit. Il n’en sort pas grandi. Il a beau tirer et tirer sur le fil, le labyrinthe ne s’ouvre pas. Aucun sentier du plaisir ne taille droit à travers bosquets et broussailles. La femme divague à propos de forêts peuplées des réalisations les plus folles mais connaît au mieux ronces et bolets. Pourtant elle affirme les avoir méritées par sa longue patience. L’élève s’est appliqué, un prix l’attend. Le prix, c’est l’amour d’Erika que l’élève reçoit à présent. Tournant gauchement le doux vermisseau entre la langue et le palais, elle espère de son plaisir futur une sorte de sentier de randonnée didactique, bordé d’uné végétation soigneusement étiquetée. On lit une pancarte et on se réjouit de retrouver un buisson familier de longue date. Puis on voit un serpent dans l’herbe et c’est l’épouvante car il ne porte pas de pancarte. La femme institue ce lieu inhospitalier leur nid d’amour à tous deux. Ici et maintenant ! L’élève cogne silencieux dans la douce cavité buccale, corne muette où il sent vaguement des dents qu’il lui conseille de bien cacher. Dans pareille situation l’homme craint encore plus les dents que les maladies. Il transpire, il ahane, il feint des performances. Profère qu’il pense sans cesse à la lettre. Comme c’est ennuyeux. C’est à cause d’elle et de sa lettre qu’il ne peut faire l’amour, qu’il ne peut plus que penser à l’amour. Elle a dressé des obstacles, cette femme.
Les dimensions connues et familières de son sexe dont il fait, excité, la description à cette femme qui n’a encore jamais dignement honoré le sexe en question, le réjouissent d’ordinaire autant qu’un gamin curieux son jeu de construction. Ces dimensions se font attendre. Le professeur qui n’a encore jamais éprouvé de plaisir, réagit à la description détaillée avec l’empressement joyeux du désir. Elle approuve et se réjouit d’ores et déjà de pouvoir vivre ceci et plus encore ! avec lui. Elle tente ce disant de recracher discrètement sa queue, mais se voit aussitôt contrainte de la reprendre sur ordre de l’élève Klemmer, au mépris des rapports hiérarchiques. Il n’abandonne pas la partie si vite ! Qu’elle avale sans sucre cette pilule amère ! Les premières affres d’un échec dont elle porte peut-être la responsabilité submergent Erika Kohut. Son jeune élève essaie toujours – en vain – de jouir sans penser à rien. Dans la femme qui de tout son être se jette dans les abîmes qui s’ouvrent à elle grandit le noir navire de la peur, déjà il hisse les voiles. A son insu, à peine est-elle éveillée du délire que des détails du minuscule réduit s’imposent à ses sens. Par le vasistas, en contrebas, la couronne d’un arbre. Un marronnier. Son appendice d’amour, ce bonbon insipide, Klemmer le maintient dans la cavité buccale et se colle tout entier contre le visage d’Erika en poussant des gémissements absurdes. Louchant du coin de l’œil, Erika aperçoit en bas le balancement presque imperceptible des branches que des gouttes de pluie commencent à accabler. Indûment alourdies les feuilles ploient. Suit un crépitement inaudible, une averse dégringole. Une matinée de printemps ne tient pas ses promesses. Les jeunes feuilles cèdent en silence sous l’assaut des gouttes. Des projectiles tombés du ciel frappent les branches. L’homme, lui, bourre toujours dans la bouche de la femme en la tenant par les cheveux et les oreilles, tandis que dehors les forces naturelles règnent sans partage. Elle veut toujours, lui ne peut toujours pas. Il reste petit, souple, au lieu de se faire compact et solide. L’élève à présent crie de colère, grince des dents, incapable aujourd’hui de donner le meilleur de lui-même. Ce n’est sûrement pas aujourd’hui qu’il pourra décharger dans le trou de sa bouche, situé dans la partie noble de sa personne, la partie supérieure. Erika ne pense à rien, s’étouffe, bien qu’elle n’ait presque rien dans la bouche. Mais ça lui suffit. La nausée monte et elle cherche son souffle. Pour compenser l’absence d’érection, l’élève frotte violemment son bas-ventre hérissé d’une toison piquante contre le visage d’Erika en injuriant son instrument. La nausée monte en Erika. Elle se dégage de force et vomit dans un vieux seau en fer blanc qui ne demande qu’à servir. On dirait que quelqu’un vient, cependant le calice passe au pas de charge, sans entrer. Entre deux haut-le-cœur en fanfare le professeur rassure l’homme, c’est moins grave que ça en a l’air. Elle crache de la bile qui remonte des profondeurs. Les mains crispées sur l’estomac, à demi-inconsciente, elle renvoie à des joies futures et bien plus grandes. Aujourd’hui ce n’était pas précisément joyeux, mais bientôt la joie bondira, irrésistible, du starting-gate. Ayant repris son souffle, elle offre inlassablement d’autres sentiments, plus violents, plus sincères encore, les polit avec un chiffon doux, et les présente avec ostentation. Regarde, Walter, tout ce que j’ai mis de côté pour toi, le moment est venu ! Elle a même cessé de vomir. Elle veut se rincer la bouche avec un peu d’eau, et cela lui vaut un semblant de gifle. L’homme se déchaîne, ne t’avise pas de recommencer en pleine marche d’approche vers l’ivresse des cimes. Tu m’as complètement déconcerté. Tu n’as même pas pu attendre mes sommets enneigés. Et d’ailleurs, après moi, tu n’as pas à te laver la bouche. Erika bredouille à titre d’essai un mot d’amour éculé, mais ne récolte que des rires. La pluie tambourine avec régularité.. Les vitres sont lessivées. La femme enlace l’homme, avec un débordement de paroles. L’homme lui répond qu’elle pue ! Sait-elle seulement qu’elle pue ? Il répète la phrase plusieurs fois, elle sonne si bien, savez-vous seulement que vous puez, Mme Erika ? Elle ne comprend pas, et le lèche de nouveau à petits coups. Mais ce n’est pas ça. Dehors les nuages obscurcissent le ciel. Klemmer répète bêtement – le message est passé dès la première fois – qu’Erika empeste au point d’imprégner le réduit entier de son odeur répugnante. Elle lui a écrit une lettre, et voici sa réponse : il ne veut rien d’elle, et de plus elle empeste effroyablement. Klemmer tire doucement sur les cheveux d’Erika. Qu’elle quitte la ville, qu’elle épargne à ses jeunes narines innocentes cette odeur très particulière et répugnante, ces miasmes, ces exhalaisons animales. Pouah, vous n’imaginez pas ce que vous empestez, Mme le professeur du supérieur !
Erika se laisse glisser dans le nid douillet, dans le tiède ruisseau de la honte, comme dans un bain où l’on immerge avec d’autant plus de prudence que l’eau est assez crasseuse. Une effervescence monte le long de son corps. Couronnes de la honte en mousse sale, rats crevés de l’échec, morceaux de papier, bois de la laideur, vieux matelas maculé de sperme. Ça monte, ça monte. De plus en plus haut. Avec un gloussement la femme se hisse le long de l’homme, s’élève jusqu’à sa tête, impitoyable diadème de béton. La tête prononce des phrases monotones à propos de puanteurs plus puissantes encore, dont l’élève à décelé l’origine chez le professeur.

Aragon

Une petite plaisanterie intitulée Septembre, issue du recueil Deuxième Semestre, édité en 1929 (mais saisi par les autorités selon la légende) :


L'a prise dans ses mains
La belle
L'a prise dans ses mains
La bite

L'a mise entre ses seins
La belle
L'a prise dans ses seins
La bite

Quand elle fut bien rouge

La bite
L'a plongée en sa bouche
La belle

L'a plongée en sa bouche

La bite
Et bouge bouge bouge

La belle

La belle et la bite

Habile habile habile
La bête, la grosse bête
La bite et la belle
Dit Bite ah bite habite
Moi vite

L'a montrée au bouton

La bite
L'a frottée au bouton

La belle

Elle rentre dans le con
La bite
La belle la belle la belle
Bite.

Shakespeare

Voilà le commencement, à l'origine du nom du blog. L'idée en est venue à la suite du spectacle de Yves-Noël Genod montré à Gennevilliers en juin 2009. C'est la merveilleuse actrice Kate Moran qui jouait Venus et prononçait ce qui suit.

Extrait du poème Venus et Adonis de Shakespeare:

I'll be a park, and thou shalt be my deer
Feed where thou wilt, on mountain or in dale
Graze on my lips; and if those hills be dry
Stray lower, where the pleasant fountains lie.

avec la traduction de mon cru pour ceux qui ne comprennent pas le patois anglais:
Je serai ton parc et tu seras mon cerf
Broute où tu veux : sur monts ou en vallée
Viens paître sur mes lèvres ; et si ces collines sont sèches
Egare-toi plus bas, là où gisent les agréables fontaines