17 nov. 2009

Josef Winkler

Le serf , publié en 1987, est le premier livre de Josef Winkler traduit en français. C’est une chronique familiale, une peinture violente d’un village de Carinthie et de son catholicisme doloriste. Josef Winkler a reçu en 2008 le prix Büchner, le plus prestigieux de la littérature de langue allemande.

Agenouillé dans le Goethepark devant les hanches dénudées d’un garçon, Konrad entend un air d’opéra provenant du théâtre municipal de Klagenfurt. Le garçon blond est debout devant un arbre, au milieu des buissons, la tête renversée en arrière, tandis que crépitent les applaudissements dans la salle. Ses mains se cramponnent à la nuque de Konrad, sous le balcon où passent les ombres des dames et des messieurs de la belle société, une coupe de champagne à la main. Son membre fourrage dans la bouche de Konrad qui distingue au goût de sa semence s’il consomme trop d’alcool, de nicotine ou de stupéfiants. Les couilles du garçon, blondes comme des blés, sont aussi flétries que le visage ridé d’une dame dans sa loge, sa lunette d’opéra à la main. Si seulement quelqu’un déversait de la merde et du sang sur la scène, et racontait les souffrances d’un homme qui depuis des jours erre dans le parc en quête d’un garçon !
Konrad est debout dans la discothèque et dévisage le garçon blond aux cheveux bouclés qui se sait observé et se souvient des lèvres de Konrad, collées sur ses cuisses. C’est maintenant à une jeune fille que ce garçon arrachera les vêtements, de ce même geste dont Konrad lui ôta sa vareuse sous les feuilles bruissantes de l’arbre, pour la jeter sur l’une des branches. Des flocons de neige brûlants tombent entre les cuisses de la fille, tandis qu’elle presse ses mains sur les fesses du garçon couvertes d’un léger duvet. Elle tourne la tête et voit tressaillir les orteils de son amant. Un clown, le visage couvert de sang, pose sa tête contre la hanche du garçon. Il n’ose pas raconter à la fille que la veille, dans le parc du théâtre, il s’est fait ouvrir la braguette de son jean de Christ. Il se rendort et rêve d’un garçon qui pèse du sang avec une balance de la fortune. Il se réveille en sursaut, sort de son lit, ouvre la porte et va sur le balcon. La ville est plongée dans le brouillard. Il a la chair de poule et ressent des picotements par tout le corps.
Le garçon blond, épuisé, s’appuie contre le tronc de l’arbre. Konrad applique ses lèvres sur ses cuisses, comme une sangsue. Le garçon pense aux légers coups de poignard du foutre qui gicle, aux minuscules embryons de poupées en plastique qui s’écoulent dans la bouche de Konrad ; il songe aux poissons dans l’aquarium qui ouvrent et ferment la bouche, comme lui à l’instant du plaisir. Il casse les dents d’un masque mortuaire. Une sage-femme, déguisée en oiseau des morts, ramasse du petit bois pour le lit funèbre d’un enfant. Les mouches de son enfance grandissent sur le rebord de la fenêtre jusqu’à ce que leur corps fasse exploser les murs de la maison parentale. Le garçon blond au jean de Christ pose le regard sur les filaments de l’ampoule d’un réverbère, dans le parc, puis il ferme les yeux et s’imagine que toutes les ampoules de cette ville explosent. Des chevaux de verre se cabrent et font des cabrioles à l’intérieur de ses couilles. Ils voient deux autres pédés remonter le sentier du parc dans leur direction. Le bruit de leurs pas s’assourdit. Ils entendent venus du théâtre de la ville, les accords d’un solo de violon. Il voit les hôtes du théâtre, debout sur le balcon, buvant du champagne et fumant des cigarettes. A dix mètres de là, dans les buissons du parc, un homme est agenouillé aux pieds d’un garçon et quémande un peu d’amour.

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