21 déc. 2009

Hélène Cixous

Hélène Cixous publie Souffles en 1975, une fiction à l’écriture complexe dont il a été écrit que l’exploration glorieuse du corps et de la féminité en constitue la matière.
Hélène Cixous a obtenu le prix Médicis en 1969


Son corps est un jeune palmier. Son tronc de couleurs si vives qu’il n’a pas l’air naturel mais inventé. La substance du tronc est vivante et fraîche comme d’une tige de fleur qu’une immense montée de sève aurait transformée. Le premier tronçon vert très vif. Je le tiens embrassé, perchée aussi haut que possible. Il va s’attendrissant vers le haut. Où je l’étreins le tronc est bleu roi, d’une chair élastique contre mon pubis ; puis à nouveau, au-dessus de moi au bout la partie plus fragile est vert vif, plus tendre. Collée au tronc, je sens couler ton sang sous ma joue. Je ne sais plus bien si je monte encore ou si dans un demi-sommeil nous caressant nous sommes emportés dans ces métamorphoses d’où parfois je ne me reviens pas, mais je m’en fous – « Je touche la vie en ce moment. Ce sera naturel pour tous dans mille ans. » – car j’atteins bientôt l’extase où tien et mien sont ravis et va dire qui branle qui branche qui fourche qui…
Je jure que c’est la veine de ton sexe que mes dents mordillent le long de cette branche mais c’est mon sexe mordillé qui crève de joie et ruisselle sur ton ventre. Au moment où je veux serrer contre ma poitrine ton pénis, l’arbre m’empoigne et m’étreint à me couper le souffle. « Cet instant est légendaire ! » me dis-je dans un ultime affolement ; mais stop ! Toutes pensées arrêtées, je me jette à l’autre, sous la forme qu’on voudra, on s’en fout, échevelée, renversée, les feuilles détachées, en averse mes particules, c’est le même besoin de l’étoile, tu m’attrapes dans tes branches, je glisse et suis écorchée, par de telles déchirures le lait du ciel entre ou gicle. Ce sera une noyade là-haut. A jouir.
A vive allure l’arbre cingle. Nous tournoyons, un sursaut, l’arbre rue, je lâche tout, quelle terreur ! C’est moi, moi seule qui la gorge nouée sans proférer un son m’en vais valser là-haut dans un champ frétillant de bancs d’étoiles, elles filent et virent à coups de queues humides en silence autour de moi qui ne puis, abîmée de volupté, lever le petit doigt. Tournoyade, le dais céleste répand ses fleuves de lait, je succombe, je roule longtemps, longtemps insensible dans les vagues de ma propre chair qui déferle sur la terre. Survolée.
Tout se passe au-dessus de tout : au-dessus de l’arbre sur lequel je retombe en gémissant, au-dessus de mon corps que je vois enroulé entre tes bras dans l’autre lit. Cependant la pluie céleste tombe en tambourinant et me trempe. Vers le milieu du ciel, confusion ! Le bonheur et le malheur sont indémêlables, je me désole, ne pouvoir jouir de ma jouissance, impossible de se multiplier assez vite et haut pour être baisée de toutes parts, pas assez de cons où engouffrer tous les pénis, pas assez de langues pour lécher les orées par où s’enfilant, on pourrait accourir à la chambre des chambres. Pas de voix, balancée à la volée, être terre, sans ouvrir la bouche, penser : « Ma chair ne parle, au sommet, qu’une langue à la fois et encore, le sommet atteint, aucune ! » et je me vois retomber entre ses bras. Lui, pensant que je pense ainsi, d’un formidable coup de branche m’envoie rouler au-dessus de mon corps, et là-haut, je me vois disparaître, et je m’en fous.

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