Les vies de Loulou, premier roman de Almudena Grandes, est publié en Espagne en 1989 à l’époque de la movida finissante et rencontre un succès public remarqué en restant plusieurs semaines en tête des plus fortes ventes.
Nous avons tiré un coup très tendre, conjugal presque, presque, mais à la fin, quand j’étais déjà épuisée et que mon corps menaçait de redevenir un corps solide et fini autour de ce nerf unique, électrisé et prêt à rompre, il s’est retiré, il a avancé à genoux vers le mur où il s’est appuyé de la main gauche et me l’a fourrée dans la bouche.
« Avale tout. »
Je n’ai rien eu à faire de plus, seulement supporter cinq ou six poussées que je n’aurais pu éviter même si je l’avais voulu car il m’emprisonnait entre ses jambes, refermer mes lèvres autour de la chair poisseuse, noter son goût qui se mêlait désormais à ma propre saveur, et avaler, avaler cette espèce de pommade visqueuse et brûlante, douce et aigre à la fois, avec l’arrière-goût de ces médicaments qui sont l’amertume des enfances faciles, avaler et réprimer mes envies de tousser à mesure que me descendait dans la gorge ce liquide épais et détestable, détestable, auquel je ne me suis jamais habituée et ne m’habituerai jamais, malgré l’expérience et la sévère autodiscipline qu’impose le désir de bien faire.
Lui était à son aise, en tout cas. Tandis que j’écoutais ses gémissements étouffés et que j’accompagnais ses mouvements avec ma tête pour refouler la nausée qui montait en moi si je demeurais immobile, je m’efforçais de rassembler toute la salive possible pour tout avaler jusqu’à la dernière goutte, comme avec les choux de Bruxelles et leur goût de pourriture, et je réfléchissais, je pensais que lui était à son aise finalement, et me venait à l’esprit une des sempiternelles remarques de Carmela, la tata que ma mère avait amenée dans sa corbeille de noces, une vieille bigote qui sentait mauvais, percluse de sclérose, déjà gâteuse et qui parcourait le couloir comme un fantôme en répétant le Seigneur nous la donne et le Seigneur nous la reprend, avec l’ABC à la main, ouvert à la page des décès et des « Loué soit le Saint-Esprit », le Seigneur nous la donne et le Seigneur nous la reprend, lui me la donne et la reprend, c’est bien, le cycle s’accomplit, tout commence et s’achève à la même place, lui est content et c’est bien ainsi.
« Avale tout. »
Je n’ai rien eu à faire de plus, seulement supporter cinq ou six poussées que je n’aurais pu éviter même si je l’avais voulu car il m’emprisonnait entre ses jambes, refermer mes lèvres autour de la chair poisseuse, noter son goût qui se mêlait désormais à ma propre saveur, et avaler, avaler cette espèce de pommade visqueuse et brûlante, douce et aigre à la fois, avec l’arrière-goût de ces médicaments qui sont l’amertume des enfances faciles, avaler et réprimer mes envies de tousser à mesure que me descendait dans la gorge ce liquide épais et détestable, détestable, auquel je ne me suis jamais habituée et ne m’habituerai jamais, malgré l’expérience et la sévère autodiscipline qu’impose le désir de bien faire.
Lui était à son aise, en tout cas. Tandis que j’écoutais ses gémissements étouffés et que j’accompagnais ses mouvements avec ma tête pour refouler la nausée qui montait en moi si je demeurais immobile, je m’efforçais de rassembler toute la salive possible pour tout avaler jusqu’à la dernière goutte, comme avec les choux de Bruxelles et leur goût de pourriture, et je réfléchissais, je pensais que lui était à son aise finalement, et me venait à l’esprit une des sempiternelles remarques de Carmela, la tata que ma mère avait amenée dans sa corbeille de noces, une vieille bigote qui sentait mauvais, percluse de sclérose, déjà gâteuse et qui parcourait le couloir comme un fantôme en répétant le Seigneur nous la donne et le Seigneur nous la reprend, avec l’ABC à la main, ouvert à la page des décès et des « Loué soit le Saint-Esprit », le Seigneur nous la donne et le Seigneur nous la reprend, lui me la donne et la reprend, c’est bien, le cycle s’accomplit, tout commence et s’achève à la même place, lui est content et c’est bien ainsi.
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