13 févr. 2010

Carlos Fuentes

Le recueil L'oranger écrit par Carlos Fuentes et publié en 1993 comprend cinq nouvelles. L'une d'elles, Apollon et les putains, raconte les dernières heures de Vince Valera, acteur de cinéma, parti naviguer dans le golfe d'Acapulco en compagnie de sept putains et de leur mère maquerelle. Une libre adaptation du conte des frères Grimm.


Sept culs sept. Cul intérieur de papaye qu’on vient d’ouvrir, chair rose, intouchée, telle une perle carnivore et parfumée. Cul palpitant de jeune louve blessée, récemment séparée de sa mère, traversée par la maudite flèche d’un chasseur intrus? Cul de source pure, eau qui court sans obstacles, sans remords, sans se soucier de son destin qui la précipite vers la mer qui va l’engloutir dans sa fourche salée. Cul de nuit à l’affût en plein soleil, gardée en réserve en prévision des faiblesses du jour, nuit vaginale en prévision du jour où le soleil ne se lèvera plus et où le sexe de la femme devra occuper le centre de l’univers. Quatrième cul des filles d’Acapulco, chambre quatrième, cul telle une chambre meublée, chaude, accueillante, en attente de son hôte parfait. Cul cinquième, le cinquième n’est jamais mal venu, dit-on ici, cul métallique de veine qui résiste à la pénétration, qui refuse de livrer son or, qui exige du mineur qu’il meure d’abord de suffocation au cœur du tunnel. Cul glorieux des libations eucharistiques, cul sixième, cul religieux, irlandais, noir, comme dirait Cindy mon épouse waspique, Wasp blancanglosaxonprotestant qui essaie de me refiler ses vieilleries ancestrales, tu ne sais pas jouir, Vince, si tu ne t’imagines pas plongé dans le péché, pauvre Apollon de Celluloïd, inflammable, périssable, prends-moi comme on prend une femme, un être humain, comme ton égal, non comme symbole de ton odyssée spirituelle, fils de pute, je ne suis ni ta communion ni ta confession, je suis ta femme, un autre être humain, quelle idée j’aie eue d’épouser un Irlandais catholique qui croit dans la liberté du péché, et non dans la prédestination de la chair!
C’est cela que je fuis: je veux jouir du dernier cul, le septième sceau, le cul sans attributs, le purgatoire sexuel sans paradis ni enfer, avec mon nom tatoué à l’entrée du vagin, Vince Valera, Apollon vaincu: les sept filles sur ma verge, toutes les sept me suçant, l’une après l’autre, l’une me suce, la deuxième me met le doigt dans l’anus, la troisième m’embrasse les couilles, la quatrième me met sa chatte dans la bouche, la cinquième me mordille le bout des seins, la sixième me lèche les orteils; la septième, la septième promène ses seins immenses sur tout mon corps, elle dirige les autres, elle fait saute ses seins sur mes yeux, m’en caresse les testicules, fait tourner un téton autour de ma queue, puis chacune d’elles le pompe à son tour, et non seulement elles, me pompent également le soleil, la mer, le moteur des Deux-Amériques.
Me pompe aussi le regard impassible de Blanche-Neige, qui garde les mains inutilement posées sur le gouvernail. Inutilement, car on est en train d’enfreindre toutes les règles de son royaume et elle ne peut rien faire d’autre que nous contempler dans une absence indifférente qui doit être celle de Dieu lui-même lorsqu’il nous voit revenir à la condamnable mais indispensable condition de bête.
Inutilement, car les Deux-Amériques a atteint son allure de croisière, il avance seul vers l’intérieur de la mer comme mon sexe ne pénètre qu’une seule, qu’un seul des sept trous qui s’offrent ce matin à mon entier abandon, à l’exigence de me donner totalement, de ne rien retenir, de ne plus trouver un seul prétexte pour rester ou fuir, me marier ou divorcer, signer un contrat ou convoiter un prix, me concilier un chef de studio, sourire à un banquier, séduire un journaliste au cours d’un dîner au Spago’s, rien, rien d’autre que ceci: l’ascension simultanée vers le ciel et l’enfer, les battements déchaînés dans ma poitrine, la conscience d’avoir trop bu, d’avoir passé une stupide nuit blanche, mon cœur galope et mon estomac se tord, je ne suis pas rasé, mes joues râpent les divines fesses de la Sosotte telles les épines dur la tête du Christ, le soleil darde ses rayons verticaux, la brise tombe, ma souffrance devient omniprésente, le moteur ne s’entend plus, le soleil d’éteint, mon corps se liquéfie, les rires des sept naines se dissipent, il n’y a plus sept trous, il n’y a plus qu’un seul dans lequel je tombe en apesanteur, il n’y a plus sept nuits, il y a une seule nuit dans laquelle je pénètre doucement, sans hésitation, prédestiné comme le voulait mon épouse Cindy, sans tête ni cœur, pure verge dressée, pur phallus d’Apollon dans la bouche d’une muse péripatéticienne qui me caresse le visage en me chuchotant à l’oreille: «Ceci est ton visage idéal. Tu n’en auras jamais de meilleur. Ceci est ton visage pour la mort, mon petit père.»

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