5 mai 2010

Andre Pieyre de Mandiargues

Ecrivain aux productions éclectiques, récompensé par le prix Goncourt en 1967, Andre Pieyre de Mandiargues publie en 1987 Tout disparaîtra, le récit de la rencontre d'un homme, Hugo, avec une comédienne, Miriam.


- Tu causes bien, pour une catin comédienne, dit Hugo. Maintenant que tu as fini, regarde le grand et beau coq, comme disent les Américains, que j’ai fait pousser pour toi comme le champignon phallus impudique qui se rencontre dans les bois, seul de son espèce dans une petite clairière, où il est comme un premier avertissement à la jeune égarée qui va être saisie par le forestier tout à l’heure, entre les grands arbres de sous lesquels on ne sort pas intacte…
- Phallus de chien, satyre puant, ce sont les autres noms de cet immondice végétal dont l’odeur est repoussante autant qu’est attirant le parfum de la Reine de la nuit. Mais il n’a aucun rapport avec ce que tu me montres, qui a de belles dimensions et un gentil aspect, dit la jeune femme.
- Agenouille-toi devant moi sur la chèvre et ouvre ton aimable bouche, dit encore Hugo. Je pourrai, par-dessus toi, surveiller le bosquet de façon à n’être pas surpris par une incursion possible de quelqu’un de ces reptiles, qui me semblent endormis ou peu curieux de nous, par bonheur.
- À tout ce qu’il vous plaira, je suis soumise, dit-elle en obéissant au commandement. Ne me détacherez-vous pas les mains?
Pour toute réponse elle reçoit une assez faible paire de gifles et sent que l’homme, qui a ouvert largement les jambes, la courbe sur lui, en la maniant et en la manipulant de toute part, en la serrant vigoureusement de ses genoux à la taille et en la faisant onduler dans cette étreinte comme une danseuse. Au-dessus de la plaisante croupe, bouclées de cuir turquoise, les mains n’ont licence de bouger que dans les limites les plus exiguës, petit bouquet dérisoire posé dans l’entre-deux des fesses, et il semblerait que la façon dont elles sont tirées en arrière fasse ressortir encore la masse et le volume de la gorge contre laquelle se frotte sans nul répit le bas-ventre de l’homme et son grand coq, que la caresse enflamme. Il est vraiment vainqueur, cette fois, et elle est bien vaincue, la splendide jeune femme qui se laisse aller à tous les mouvements qu’on lui impose sans avoir (le voudrait-elle ou non) le moindre moyen de défense, tandis qu’elle sent que très lentement l’on fait glisser son corps au long du corps du maître de manière à rapprocher ses lèvres encore closes du gland qui va les mettre à l’épreuve aussi longtemps et aussi violemment que le voudra le mâle. Le contact s’est produit, et parce qu’elle n’a pas immédiatement fait bouche bée selon l’ordre, quoique sachant qu’elle ne peut en rien s’opposer à la volonté supérieure, Hugo s’amuse à lui pincer les narines pour la forcer à ouvrir la porte buccale sous peine d’étouffer. Alors le coq s’introduit, allant jusqu’au fond de la première exploration, et elle connaît une fois de plus ce qu’elle a bien des fois subi sans trop de peine, le martèlement répété du larynx par un grand outil de chair selon l’impulsion saccadée des reins de l’envahisseur, la possession, comme par un dur démon, de la noble tête condamnée à la recevoir par son entrée principale, peu en dessous de la voûte crânienne qui abrite le cerveau, royaume de l’esprit et de l’âme. Passent de longues minutes au fil desquelles, ainsi qu’une ville capitale envahie par un envahisseur auquel elle s’habitue bientôt et finit par reconnaître des qualités, Miriam oublie l’entrave et l’humiliation, retrouve le plaisir qu’en pareille épreuve elle a connu déjà, se plaît à offrir au brutal, lors de chacun de ses passages, la caresse enveloppante d’une langue rompue à ce genre d’exercice, ressent une émotion qui ne tient pas moins à l’âme évoquée plus haut qu’au cœur dont le battement s’accélère à mesure que se ralentit le rythme des intrusions. Sentant un renouveau de tendresse chez le vainqueur, la vaincue se fait tendre plus que lui, et si quelques larmes lui reviennent aux yeux, ce n’est pas la douleur, assurément, qui en est la source.
- Mesquine, lui dit Hugo, qui avait à son poignet gardé sa montre, cela fait plus d’un quart d’heure que dure notre contredanse et, si maître de mon jeu que je sois, je sens monter une lave que je ne pourrai contrôler. Tu avaleras cela jusqu’à la dernière goutte, comme le veut ton rôle, ou ton double métier, auquel j’ajouterai celui de grande prêtresse de Cérès si tu as conscience de célébrer avec un auxiliaire qui est moi-même un rite destiné à faire revenir la pluie après une longue sécheresse.
Entendu, mais il faut veiller au bon accomplissement du rite et Miriam ne peut le remercier autrement qu’en ouvrant et en fermant les yeux à maintes reprises, ce qu’elle fait en souhaitant être vue de lui. Quelques minutes passent encore. Les deux mains de Hugo posent sur ses oreilles et guident les mouvements de sa tête avec une paternelle autorité qu’il est d’autant plus doux de subir qu’il serait impossible de s’y dérober. Si le bélier était plus long, songe-t-elle, elle serait capable, ouverte comme elle est dans l’actualité, de le laisser s’enfoncer jusqu’à l’estomac. Mais dans les derniers coups elle a senti frémir le coq d’une façon qu’elle connaît bien et qui de peu prélude au spasme, alors elle voudrait que le puissant organe pût connaître la tendresse avec laquelle elle le reçoit, tendresse en vérité filiale qui répond au déjà reconnu paternalisme de l’autorité, et elle dépêche sa langue pour qu’il soit bien ressenti que dans le jeu elle est complice autant que partenaire ou esclave. Puis l’éruption vient, dont elle recueille six fois les émissions de lave masculine, que six fois elle avale, docile enfant qu’elle se sent, en pensant aux six sommets de l’étoile hexagonale et mosaïque, pensée qui lui vient cette fois pour la première fois de sa carrière d’aventurière et de catin où pourtant l’irrumation est coutumière pratique. Inexplicable secret que la vaincue gardera pour elle et dont elle sent, confusément certes, qu’il vaut mieux ne pas dire un mot au vainqueur. «L’amour charnel est tissu de secrets», lui avait dit (mais qui et quand?) quelqu’un de très sage, qui avait ajouté: «Une seule maille révélée, tout se déchire.»
Le rite a été bien accompli, pense-t-elle. La pluie viendra-t-elle sur la contrée désertique? En attendant, elle aspire tout ce qui se peut tirer encore du grand coq qui s’amollit et qui se rétrécit progressivement, mais qu’elle gardera, chienne fidèle, dans sa bouche aussi longtemps que son maître ne l’en aura pas volontairement retiré, et sa langue s’affaire à le nettoyer, et elle continue à avaler une salive que rend précieuse un peu de lave blanche.
- Allons, dit-il, tu es décidément une pute bien dressée, tu vas me rendre mon outil propre comme un sou neuf…
Et il le lui retire des lèvres qu’elle tient serrées pour retenir les dernières impuretés avalées comme les premières,

1 commentaire:

  1. je préfère ce texte de Mandiargue à celui de "l'anglais décrit dans le château fermé"...ceci dit, il écrit vraiment bien

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