21 avr. 2013

Margaux Fragoso

J'ai rencontré Peter quand j'avais sept ans et j'ai eu une relation avec lui pendant quinze ans, jusqu'à ce qu'il se suicide à l'âge de soixante-six ans. C'est par ces mots que débute Tigre, Tigre ! , le récit autobiographique qu'a publié Margaux Fragoso en 2011. L'univers dans lequel vivaient cette enfant et cet homme n'a été rendu possible que par le secret  qui l'entourait.


Il me serra soudain dans ses bras, presque trop fort. "Je t'aime tellement, Margaux, tu ne comprends pas. Margaux, Margaux. Tu es unique au monde. Personne ne te ressemble, personne au monde. Tu as été créée pour moi. Tu es mon ange gardien. Tu es mon amour. Ce n'est pas mal de t'aimer, pas quand l'amour est si beau. Nous sommes faits l'un pour l'autre ; oublie ce que racontent les autres. Oublie tout : nous sommes les deux seules personnes qui comptent dans ce monde : toi et moi."
Je l'embrassai, en mettant ma langue dans sa bouche. Nous nous embrassâmes un certain temps. Puis je posai la main sur la bosse de son survêtement.
"Tu n'as pas peur de moi, dis ?"
Je secouai la tête.
"Je suis amoureux de toi. Il n'y a personne d'autre, Margaux. Personne ne me fait sentir ainsi. Je t'aime inconditionnellement. Tu as un immense pouvoir, un incroyable pouvoir sur moi et je te fais confiance. Je mets ma vie entre tes mains."
Je baissai son pantalon ; ce geste soudain parut le surprendre. Son pénis ne paraissait pas aussi effrayant et dégoûtant qu'avant. C'était une partie du corps naturelle, pas honteuse du tout ; je le savais maintenant. Je le touchai et il commença à augmenter en volume ; Peter me dit de ne pas avoir peur - que c'était normal. La peau se tendit, les veines devinrent plus rigides ; elles me faisaient penser à des plantes de terrarium, mais bleues. Le sac poilu qui était dessous paraissait plus tendu aussi ; j'y touchai et ça glissa sous la pression de ma main comme un bol de gelée Jell-O. Mais l'autre truc - je ne pouvais en croire mes yeux : ça continuait à grandir magiquement. Je pensai à Alice au pays des merveilles et à ses flacons de potion et à des pastilles à la menthe et autres champignons magiques. Il y avait des potions qui la rendaient plus grande ; d'autres qui la rapetissaient. Elle pouvait être aussi petite que mon petit doigt, ou aussi grande que Godzilla ou King Kong. Le pénis de Peter n'était pas contrôlé par des pastilles à la menthe - je commençais à comprendre que je le contrôlais. J'en connaissais assez maintenant sur le pourquoi du comment pour savoir que si je n'avais pas été là, il ne serait pas devenu grand.
Je fixai l'ampoule nue, éblouissante. Une mouche courait dessus. "Tu veux que je t'embrasse là, Peter ? Pour ton anniversaire ?
- J'aimerais beaucoup ça, mon coeur."
Je l'embrassai sur le petit oeilleton. Il n'y avait pas de pipi là, pas de pipi qui venait. Peter m'avait expliqué que le pipi ne pouvait pas sortir quand c'était dur. Pas de pipi, me disais-je en l'embrassant plusieurs fois, pas de pipi, pas de pipi. Pas de sang, pas de sang. Ni de cire ou de mucus ou de sueur. Rien ne pouvait sortir de là.
"Voudrais-tu le sucer ? Comme tu ferais avec une sucette ?"
Il y avait une histoire dans un livre ancien qui appartenait à ma mère quand elle était petite : le livre géant des contes de fées ; maintenant il était à moi. Je pensai au conte qui s'appelait La sucette sans fin ; c'était l'histoire d'un garçon, Johnny, qui suce et suce une sucette jusqu'à ce qu'elle devienne tellement grande qu'elle est plus grande que lui. La sucette géante est installée dans la rue comme décoration, vu qu'elle a la taille d'un lampadaire.
Je suçai le pénis de Peter, la tête toujours aux histoires de mon livre. Il y en avait une autre qui s'appelait Vilain Petit Rat. Vilain petit rat est l'ami de la petite Donnica ; c'est un gentil petit rat, sauf qu'il ne peut pas s'empêcher de faire des bêtises et de casser des trucs dans la maison. Alors la mère de Donnica essaie de le tuer ; elle tente de le noyer en l'enfermant dans un carton, mais le carton se défait et il s'en sort. Elle tente de l'expédier à bord d'un deltaplane. Elle le ligote dans la forêt pour qu'une chouette le mange. Elle a beau tout essayer pour se débarrasser de lui, il revient sans arrêt. Finalement il décide qu'il veut devenir sage. Il se met à faire tout ce qu'on lui dit. Il fait la vaisselle ; il dit ses prières. Peut-être même qu'il boit un verre de lait comme celui que ma mère me donnait tous les soirs pour la vitamine D. Peut-être étais-je une souris qui buvait du lait au bol du chat sur le sol de la cave ? Peut-être étais-je un bébé avec un biberon ? Peut-être, en fait, étais-je en haut avec Karen à boire vraiment du lait avec des Pépitos ? Etais-je en haut ou en bas ? C'était la première chose à savoir. Il fallait que je me concentre. Est-ce que j'étais en haut ou en bas ? Ou bien - est-ce que j'habitais dans l'appartement de la 32ème rue, ou dans la nouvelle maison de Papa ? Quel âge avais-je ? Quel jour de la semaine était-on ? Est-ce que j'étais Karen, en haut, buvant un verre de lait ? Ou Margaux, en bas, lapant le bol du chat ?
J'eus soudain l'impression d'être de la taille d'un ongle de pouce. Puis je me rendis compte que j'étais en train de regarder un pouce. Le pouce de Peter. Et ensuite, que je regardais vers le haut, le visage de Peter. Dès qu'il vit que je le regardais, il tapota ma tête.
"Je t'aime, dit-il. Je t'aime tellement, ma chérie, tellement. Tu devrais arrêter maintenant, mon coeur. Arrête, mon coeur." Sa voix rendait un son étrange, étranglé. " Tu es si belle. Si belle et si aimante ; et c'était une si belle soirée. Merci. Merci du fond du coeur, ma chérie, merci de m'aimer. Merci de m'accepter." Il eut un large sourire et remonta son pantalon d'un geste vif. "C'est le meilleur anniversaire de ma vie !"

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