24 mars 2012

Severo Sarduy

La voix polyphonique de Severo Sarduy, Cubain exilé en France, s'est exprimée dans de nombreux domaines : poésie, essai, radio, édition, peinture... Cobra, roman publié en 1972 et traduit par Philippe Sollers, obtient le prix Médicis étranger. Sarduy décrit lui-même son écriture dans ce livre : l'art de l'ellipse, l'art de la digression, l'art de désordonner un posé et de déposer un ordre.
Il y est question entre autres de travestis, de métamorphoses, de drogues et de voyages en Orient.


Les éléphants mêlent leurs trompes imitant en salut les poignées équivoques des hommes.
Un barbu aux yeux ovalisés; et toi nue levant une pomme au rythme d'un triangle bras arqués.
Nue pour m'écrire debout.
Un bâtonnet de bois brûlé t'allonge les paupières, appuyée princièrement du coude sur la tête d'un serviteur.
Tu t'aimes, une épine oubliée, dans le cercle de métal poli.
Tu te fais lécher par un singe. Et déshabiller par un scorpion.
Deux najas couronnés entrecroisent leurs queues : tresse d'écailles. L'un d'entre eux exhibe un flacon de parfum.
Moi en perruque damoiselle, toi paumes par terre pliée devant. Empreintes de mes doigts dans tes fesses minutieusement cerclées de perles; et tes seins.
Un guerrier à turban moustache, en se marrant, sodomise une jument d'un gros membre raide à cheval; un de ses copains, grimpant litière, se voile gentiment la conque.
Pieds en l'air, tête en bas, droite queue, les bras entre vos jambes, mes doigts bagués pénétrant.
De dos, diadème en coiffure, accroupie forcée entre mes cuisses : les deux gardiennes pressent en riant. Tu plies les jambes, lâches le sol, t'appuies sur de minuscules serviteurs qui se font sucer par leurs symétriques femelles qui se délassent avec petits singes, naturellement.
Tu m'as tiré par ma tunique près de la rivière jusqu'à une cabane. Glissant plus que lentement entre les joncs. Taille resserrée : tambour dombori. Cercles brillant sur les lotus : bourdonnement des abeilles autour de tes mains.
Tes seins sont des sphères remplies que mes doigts frôlent, tes yeux sont agrandis par un point d'or. Nez droit. Sourcils tirés d'un seul arc. Tu as ta cymbale, moi ma fleur.
Les anneaux à tes chevilles répètent la cinquième note. Couverts de laque, les pouces de tes pieds brillent au soleil.
J'ai passé la nuit à draguer une petite gazelle, dans le regard de laquelle pointait une somnolence qui m'empêchait de dormir.

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