25 août 2013

Grisélidis Réal

Les écrits de Grisélidis Réal témoignent se son expérience de la prostitution. Décédée en 2005, elle a souhaitée que sa tombe soit marquée de ces deux mots : écrivain-prostituée. En 1974, elle publie son premier livre, autobiographique : Le noir est une couleur.


Ses mains gantées de daim ouvrent une portière de voiture. Je reconnais le grand catafalque nickelé.
Cette fois, pas de repas chinois, pas de mansarde, pas de galanteries. Il est pressé, on stoppe dans un chemin sombre entre deux villas. Il presse sur un bouton et les sièges s'allongent en couchettes.
Il se déshabille en ahanant, et sur les coussins de cuir noir, comme un monstrueux clair de lune, son vieux cul flasque apparaît.
Il me le tend, saisit ma tête à pleines mains et m'enfonce dans ses replis. Tout en dirigeant la manoeuvre d'une poigne rude, il gémit comme un petit enfant. Au bout de longues minutes, à moitié étranglée, suffocante et pleine de larmes, j'ai tout reçu dans la bouche.
En sifflotant, il remet la voiture en marche pendant que je me rhabille. J'ai cinquante marks dans mon sac comme l'autre fois, qu'il m'a donnés sans que je lui demande. Il pousse la gentillesse jusqu'à me ramener tout près de ma cabane.

19 août 2013

Vikram Seth / Claro

Après avoir publié des recueils de poésie, l'écrivain indien Vikram Seth publie en 1986 son premier roman : Golden Gate. Inspiré dans sa forme du roman de Pouchkine Eugène Ounéguine, il est écrit en vers. L'immense Claro, spécialiste des Everest littéraires (plusieurs fois honoré en ces lieux, ici, et là encore), s'est attaqué à la traduction en français, en choisissant de présenter l'oeuvre en alexandrins.

Le roman raconte la quête amoureuse de quelques jeunes gens de San Francisco. Dans l'extrait suivant (strophe numéro 34 du chapitre 1) , l'ombrageux John prend la mouche lorsque son ex-compagne Janet lui propose de recourir aux petites annonces pour retrouver l'âme soeur.


" Mais c'est... mais c'est..." Et voilà que Janet se tait.
" Ce que c'est ? Du maquignonnage pur et dur.
Des bêtes exposées, des acheteurs replets,
Des enchères sans nom et des candidatures,
Vieux pervers polymorphe, âgé mais très fringant,
Solvable, excitant, sexy, économe, grand,
Cherche jeune et jolie brune à grosse poitrine
Aimant jouer du flageolet et très câline.
Au numéro 69. Hors de question
Que je prête ma plume à cette perversion.
Comment as-tu pu croire que j'allais souscrire
A pareille ineptie ? Bel homme ex machina
Jeune et doué dans l'art de lever les nanas. "

15 août 2013

Markus Orths

Les écrivains allemands, à la différence de leurs cousins autrichiens, semblent avoir une certaine pudeur et sont peu présents dans cette anthologie. Le sexe est abordé par eux d'une manière souvent peu explicite. Le roman de Markus Orths, Femme de chambre, paru en 2008, en fournit un bel exemple.
Dans l'extrait suivant : une conversation entre Chiara, prostituée, et sa cliente Lynn, le personnage principal du roman.


... le samedi elle est dans les bras de Chiara, les yeux fermés, c'est fini, Lynn sent que la décision de poser la question s'enclenche enfin en elle.
" Est-ce que j'ai bon goût ? demande Lynn.
- Un goût de savon.
- Je me lave toujours avant.
- Oui, tout ton corps a un goût de savon.
- C'est O.K. ?
- Tout à fait.
- Y a-t-il des clients qui te dégoûtent, je veux dire : est-ce que ce n'est pas écoeurant quelquefois ?
- Non. Ils doivent toujours se laver avant.
- Tu l'exiges?
- C'est le minimum."
Silence, bref.