11 avr. 2012

Robert Coover

Robert Coover publie en 1977 Le bûcher de Times Square. Cet énorme ouvrage, qui mérite bien deux extraits, retrace de manière non conventionnelle les derniers jours des époux Rosenberg avant de griller sur la chaise électrique. Richard Nixon, vice-président des Etats-Unis au moment des faits, en est le narrateur principal. Dans le premier extrait, il évoque ses souvenirs de sénateur au Capitole.
Un second passage est ajouté en bonus. Il décrit l'hystérie de la foule venue assister à l'exécution des Rosenberg : une hystérie dégénérant en une gigantesque partouze.


 J'avais moi-même terriblement envie de pisser, j'aurais probablement dû y aller avec lui, le fait est que non seulement je me sentais assez mal à l'aise, n'ayant jamais été véritablement admis dans ce club privé (je m'attirais souvent de bizarres regards surpris de la part des autres sénateurs, les huissiers eux-mêmes étaient mieux reçus), mais qu'il fallait aussi, pour y aller, traverser la Salle de la Présidence, où traînent tous les journalistes. Pas de meilleures sources d'information, si l'on en croit la légende, que les sénateurs qui ont "la vessie faible et la tête chaude"" - et surtout lorsque cette vessie est pleine de bourbon. Il y avait même des femmes journalistes qui rigolaient lorsque les sénateurs se précipitaient en se tenant les bonbons. Ce qui, à mes yeux, était un manque total de dignité, mais la plupart des sénateurs ne semblaient pas se frapper, ils avaient même l'air d'apprécier ce genre de notoriété. Il paraît que Lyndon Johnson, pendant la discussion de la loi sur le pétrole des Tidelands, s'était fait harponner par une jeune journaliste aux idées avancées et avait accepté de lui accorder une interview, à la seule condition qu'elle le suive et lui tienne son instrument pendant qu'il pissait - ce qu'elle avait dû faire. Le scoop de l'année. Ou, comme Lyndon était censé l'avoir déclaré, aux lavabos : "Vous venez de vous en tailler une belle, la p'tite dame!".

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Plongés soudain dans une nuit infiniment plus épaisse que celle dont ils sont sortis ce matin (ou dont ils ont cru sortir), les gens sont à la recherche - coeur distrait, lombes fiévreuses - du contact décisif, de l'ultime rassemblement, de l'implosion tribale qui les libérera de cette immense pénombre et de cette sombre affliction, ou mettra fin à leur misère en les oblitérant à jamais. "Quel indigne spectacle pour les mères ! Et, ici, pour les vierges ! O le honteux ! le profane ! l'exécrable tableau !" Etonnant combien le corps humain peut offrir d'orifices, petits et grands, de protubérances  complémentaires, molles et rigides, et surtout lorsque le total en est élevé à la puissance n par des milliers de corps empilés les uns sur les autres , en couches superposées, écrasés dans un espace aussi restreint, et qu'ils ne se cachent plus rien ! Ils ne sont plus, dans cette nuit démente et dégoulinante - qui les prive virtuellement de tous leurs sens, sauf un, où il ne leur reste plus qu'une frénésie de donner et de recevoir, de toutes leurs ouvertures et de tous leurs appendices, le cerveau paralysé de délire, de gnôle, d'effroi, et par la montée de l'orgasme -, limités à leur seul espèce : non, c'est la grande mêlée, n'importe quel animal, n'importe quel végétal, n'importe quel artefact, n'importe quelle surface plus ou moins irrégulière fera l'affaire !

7 avr. 2012

Henry Miller

Précurseur de la Beat Generation et du mouvement hippie, Henry Miller a ébranlé l'ordre moral de l'Amérique puritaine. Son roman semi autobiographique Tropique du Capricorne paraît en France en 1939 et reste censuré aux Etats-Unis jusqu'en 1961. Ce récit relate la vie de l'écrivain dans le New-York des années 20 avant son départ pour Paris.


 Un soir où elle était dans la salle de bains, et où son séjour se prolongeait de façon suspecte, j'en vins ainsi par sa faute à penser à des choses. Je décidai de jeter un coup d'oeil par le trou de la serrure et de voir par moi-même de quoi il retournait. Or voici ! Voici qu'elle est debout devant la glace, choyant et caressant sa petite chatte. Lui parlant presque, ma parole. J'étais si excité que je ne sus que faire, tout d'abord. Je retournai dans la grande pièce, éteignis les lumières et me couchai sur le divan, attendant qu'elle sortît. Et ainsi couché, je gardais devant les yeux ce con broussailleux et les doigts qui avaient l'air de tambouriner doucement dessus. Je défis ma braguette, histoire de laisser mon truc prendre le frais de la nuit. Du divan où j'étais, j'essayais de l'envoûter, ou du moins de faire que mon truc l'envoûtât. "Viens là, fille de pute, me répétais-je, viens ici, viens déployer sur moi ce con." Elle dut capter le message immédiatement, car en un clin d'oeil elle ouvrit la porte et tâtonna dans le noir, à la recherche du divan. Je ne bronchai pas. Pas un mot, pas un geste. Je me bornai à tenir mon esprit rivé à ce con qui bougeait doucement dans le noir comme un crabe. En fin de compte, elle fut debout à côté du divan. Sans un mot elle aussi. Elle se tînt là, tranquillement, et tandis que ma main remontait en glissant le long de ses jambes, elle bougea un peu le pied pour mieux ouvrir la fourche. Je ne crois pas avoir, de toute ma vie, fourré la main dans une fourche aussi juteuse. De la colle de pâte, ruisselant sur ses jambes, si j'avais eu des affiches à portée de main, j'aurais pu en coller une douzaine pour le moins. Au bout de quelques instants, aussi naturellement qu'une vache qui baisse la tête pour paître, elle se courba et le prit dans la bouche. Quant à moi, j'y allais à quatre doigts en elle, battant le tout en neige. Et elle, la bouche pleine, les jambes ruisselantes de jus. Pas un mot de part et d'autre, ai-je dit. Rien qu'un couple de paisibles maniaques faisant leur boulot dans le noir comme des fossoyeurs. C'était un paradis de baiser ainsi, je le savais et j'étais prêt, archiprêt à y faire passer toute ma matière grise s'il le fallait.