26 déc. 2010

Didier van Cauwelaert

Didier van Cauwelaert obtient le prix Goncourt en 1994 pour son roman Un aller simple. Un jeune Marseillais, muni du fait des hasards de la vie de faux papiers marocains, est arrêté, expulsé de France pour être envoyé au Maroc. Sur la route d'un village imaginaire du Haut Atlas, il est accompagné par Jean-Pierre, un fonctionnaire idéaliste et par une charmante guide dont il gardera un heureux souvenir après l'épisode suivant.


Elle a terminé de déboutonner mon pantalon que j'avais desserré pour la nuit, et elle m'a frotté contre sa joue avec une tendresse que je ne lui avais jamais vue, comme si elle cherchait la douceur avant de s'endormir. Et puis elle m'a caressé avec sa bouche, longtemps, pendant que le soleil finissait de sortir de sa montagne pour dessiner des ronds sur le pare-brise. C'était comme un espoir avant la fin du monde, le début de quelque chose qui ne savait pas que ça ne servirait à rien, la naissance d'un bonheur qui s'arrêterait tout de suite. Elle m'a avalé sans un regard, elle a refermé la portière et elle est retournée sous la tente; elle avait peut-être repris des forces pour jouer la comédie de l'amour devant les yeux de Jean-Pierre.

19 déc. 2010

Olivier Cadiot

Souvent rangé dans l'avant-garde littéraire, l'écrivain Olivier Cadiot publie en 2007 son roman probablement le plus accessible: Un nid pour quoi faire. Je me garderais bien néanmoins de résumer l'histoire de cette oeuvre fort poétique.


Susan ?

Ton sourire m'attire
comme m'attire une fleur

Ohé ohé
photo

Tu es le champignon brun de la forêt

Et ça ?
jardiniers endiablés, jardins pacifiques

Photo, tu es la fumée de l'ardeur, etc.

C'est beau.

La Bible, on a beau dire c'est beau, surtout dans l'original, il paraît, il y a du souffle partout.

Des spécialistes le disent.

Arrête de lire tout le temps, dit-elle
tu reveux de la glace ?

Citron

On recommence ?
allez hue.

Elle me pose son sexe sur la bouche en se soulevant, comme un pont tournant, avec le grincement des chaînes en moins, un corps sur vérin hydraulique, elle est jolie.

On dirait une danseuse.

14 déc. 2010

Yuri Andrukhovych

Sur le mode de la farce burlesque ou de la satire, les oeuvres de l'écrivain ukrainien Yuri Andrukhovych ont souvent pour thème la situation politique et culturelle de son pays. Douze cercles publié en 2003 dépeint une Ukraine de l'après-communisme plongée dans le chaos.


Les filles, qui tirèrent le vieux des profondeurs de l'anabiose, se jetèrent sur lui avec des caresses de plus en plus extrêmes; l'une d'elles faisait penser à Gina Wild, le rêve nocturne de tous les mâles, l'autre à Doris Fant, la tigresse insatiable de la passion (ce n'est pas pour rien que Yartchyk le magicien avait exploré durant deux mois les sites porno sur Internet !), elles arrachèrent sa couverture et, s'étouffant dans leurs propres sanglots, poussèrent à l'aide de la musique leur état jusqu'à l'exaltation; elles plongeaient leur langue serpentine dans les plis bleutés de l'aine du vieillard, touchant les zones et les centres les plus sensibles; en une poignée de minutes, le professeur métamorphosé commença à se changer en un prince enchanté du printemps, enfin il tressauta spasmodiquement et, se fendant d'un sourire incontrôlé de satyre, se mit à forniquer avec elles en déployant d'étonnantes réserves de vivacité et d'avidité avec ses lèvres, son nez, ses mains, sa tête, son membre, avec tout ce qu'il possédait jusqu'à ce que, poussé à l'extrême, il giclât aux quarante-quatre coins du monde, sur la couche, les fleurs, la mousse, les branches, sur leurs visages défigurés par la jouissance et - impossible de cacher la vérité - sur la caméra vidéo en un long jet noir de soulagement, après quoi il poussa, comme un reptile antédiluvien obsédé, un dernier cri qui retentit dans toutes les montagnes.

12 déc. 2010

Armistead Maupin

En 1976, les chroniques d'Armistead Maupin publiées dans un journal de San Francisco connurent un tel succès qu'elle furent réunies deux ans plus tard sous forme d'un premier roman : Chroniques de San Francisco. Elles restituent l'ambiance si particulière de la ville dans les années 70. L'extrait suivant nous présente Mary Ann, devenue bénévole dans un centre d'écoute pour désespérés et collègue d'un dénommé Vincent, artiste déprimé à qui il manque un morceau d'oreille.


Laissant le téléphone sonner, Mary Ann martelait la porte de la salle de bains.
- Vincent, écoute-moi bien. La situation n'est jamais aussi catastrophique qu'on le croit ! Vincent, tu m'entends?
Elle fit un rapide inventaire des objets de la petite armoire au-dessus de l'évier. Y-avait-il des ciseaux? Des couteaux? Des lames de rasoir?
DRRRINNNGGGG !
- Vincent ! Je dois aller répondre au téléphone ! Mais dis quelque chose ! Vincent, pour l'amour de Dieu !
DRRRINNNGGGG !
- Vincent, tu es un enfant de l'univers ! Tout autant que les arbres et les étoiles ! Vincent,tu as le droit d'exister. Et que tu le... que tu le... Enfin, aujourd'hui est la première journée du reste de ta vie.
Elle se sentit submergée par des vagues de nausée. Elle se précipita vers le téléphone.
- Allo, S.O.S. - Ecoute San Francisco, dit-elle, essoufflée.
La voix au bout du fil parlait sur un ton aigu et asthmatique, comme une créature de Disney devenue sénile.
- Qui êtes-vous?
- Euh... Mary Ann Singleton.
- Vous êtes nouvelle.
- Monsieur, est-ce que vous pourriez patienter une...?
- Où est Rebecca? Je parle toujours à Rebecca.
Elle recouvrit le combiné de sa main.
- Vincent !
Silence.
- VINCENT !
Une réponse étrangement faible lui parvint :
- Quoi ?
- Vincent, ça va?
- Oui.
- J'ai quelqu'un ici qui veut parler à une certaine Rebecca.
- Dis-lui que tu es la remplaçante de Rebecca.
Mary-Ann parla dans le téléphone.
- Je suis la remplaçante de Rebecca, monsieur.
- Menteuse !
- Je ne comprends pas, monsieur...
- Arrêtez de m'appeler "monsieur" ! Quel âge avez-vous?
- Vingt-cinq ans.
- Qu'est ce que vous avez fait à Rebecca ?
- Ecoutez, je ne connais même pas Rebecca !
- Ah bon ?
- Non.
- Tu veux me sucer la bite ?

5 déc. 2010

Vladimir Nabokov

Lolita, le roman de Vladimir Nabokov édité à Paris en 1955, fit scandale à sa parution et fut l'objet d'une interdiction pendant quelque temps mais son énorme succès permit ensuite au collectionneur de papillons de vivre de sa plume.
Comme l'écrit Nabokov lui-même dans l'avant-propos du livre,  'on ne trouve pas un seul terme obscène dans tout l'ouvrage ; et le solide philistin accoutumé par les conventions modernes à accepter sans broncher les mots orduriers qui foisonnent dans un roman banal sera sans doute très choqué de ne pas les rencontrer ici'.
Voici un extrait tiré de la nouvelle traduction française de Maurice Couturier publiée en 2001.


...il m'arrivait d'exiger affectueusement un baiser supplémentaire, ou même tout un assortiment de caresses variées, quand je savais qu'elle convoitait passionnément tel ou tel divertissement juvénile. Pourtant, il n'était pas facile de traiter avec elle. C'était sans enthousiasme qu'elle gagnait ses trois cents - ou ses trois pièces de cinq cents - par jour ; et elle se révéla une négociatrice cruelle chaque fois qu'il était en son pouvoir de me refuser certains philtres dévastateurs, étranges, paradisiaques, languides, dont je ne pouvais me passer pendant plus de quelques jours, et que, en raison de la nature même de cette langueur d'amour, je ne pouvais extorquer de force. Consciente de la magie et de la puissance de ses lèvres douces, elle parvint - au cours d'une seule année scolaire ! - à faire monter les enchères jusqu'à trois et même quatre dollars pour une étreinte particulière.