29 mars 2010

Nikolaj Frobenius

Nikolaj Frobenius, écrivain et scénariste norvégien, a publié en 1999 le roman Le pornographe timide.
Simon, un jeune garçon, embarque clandestinement sur un cargo et s'y cache jusqu'à être découvert par l'équipage qui se charge de son initiation au monde particulier des adultes à l'aide d'une production cinématographique à caractère pornographique.


Les deux gardes m’ont emmené dans une pièce avec une grande télé. Ils se disputaient la télécommande et tiraient tous les deux dessus jusqu’à ce que le plus fort gagne. Il caressait et tapotait ensuite la télécommande tandis que le plus faible le regardait d’un air mauvais. Ils me souriaient, le visage content. Sur un énorme écran, j’ai vu une femme nue qui enduisait d’huile une autre femme nue, et après, elles se léchaient entre les jambes jusqu’à ce que leurs visages deviennent tout bizarres. Ça me donnait des nausées de regarder ça. Les deux gardes échangeaient des drôles de regard et puis ils ont ri fort et ils m’ont attrapé par le cou pour me forcer à regarder les femmes qui jouaient avec un petit bâton et qui gémissaient et qui avaient des visages de plus en plus bizarres. Quand les femmes ont eu fini, elles sont restées allongées côte à côte et elles se caressaient sans se presser, et leurs visages sont redevenus normaux. Le garde le plus costaud s’est approché de la table, il a ramassé la télécommande et en souriant il a arrêté la télé. L’autre me souriait aussi bien en face, et j’ai vu qu’il avait un peu de salive au coin de la bouche.

25 mars 2010

Charles Bukowski

Women, publié en 1978, est le récit des aventures galantes de l'écrivain Hank Chinaski, double plus ou moins fantasmé de Charles Bukowski. Le défilé de ces nombreuses conquêtes débute par la rencontre avec Lydia, racontée dans l'extrait ci-dessous.


…un après-midi, je suis passé chez Lydia. Nous étions sur son lit en train de nous embrasser. Lydia s’est reculée.
- Tu ne connais rien aux femmes, n’est-ce pas?
- Quesse tu veux dire?
- C’que j’veux dire, c’est qu’en lisant tes poèmes et tes nouvelles, j’vois bien que tu connais tout simplement rien aux femmes.
- Apprends-moi des choses.
- Eh bien, tu vois, pour qu’un homme m’intéresse, faut qu’il me bouffe la chatte. Tu as déjà bouffé de la chatte?
- Non
- T’as plus de cinquante ans et tu n’as jamais bouffé de la chatte?
- Non
- C’est trop tard.
- Pourquoi?
- Ce n’est pas à vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces.
- Mais si, on peut.
- Non, c’est trop tard pour toi.
- J’ai toujours été un peu lent à démarrer.
Lydia s’est levée pour aller dans l’autre pièce. Elle est revenue avec un crayon et une feuille de papier.
- Bon, écoute, je vais te montrer quelque chose. – Elle se mit à dessiner sur le papier. – Regarde, ça c’est un con, et là se trouve quelque chose que tu ne connais probablement pas – le bouton. C’est le point le plus sensible. Le clitoris se cache, tu vois, il sort de temps en temps, il est rose et TRÈS sensible. Certaines fois, il ne veut pas se montrer, il faut que tu le cherches, suffit de le TOUCHER du bout de la langue…
- O.K., dis-je, j’ai pigé.
- J’crois pas que tu puisses le faire. J’t’ai dit, ce n’est pas à vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces.
- Déshabillons-nous et allongeons-nous.
On s’est déshabillés et allongés. J’ai commencé à embrasser Lydia. Puis je suis descendu de ses lèvres à son cou, de son cou à ses seins. Ensuite, je suis arrivé au nombril. Et encore un peu plus bas.
- J’parie que tu y arriveras pas, dit-elle. Le sang et le pipi sortent par là, rappelle-toi, le sang et le pipi…
Je suis arrivé en bas et me suis mis à lécher. Son dessin était tout à fait fidèle à la réalité. Chaque chose se trouvait à la place qu’elle avait dit. J’ai entendu sa respiration s’accélérer, puis des gémissements. Ça m’a excité. J’ai eu une érection. Son bouton est sorti, mais il n’était pas exactement rose, il était rose-pourpre. J’ai titillé le clitoris. Le miel s’est mis à couler et à humecter les poils du con. Lydia gémissait de plus en plus fort. Tout à coup, j’ai entendu la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer. J’ai entendu des pas. Levé les yeux. Un petit garçon noir d’environ cinq ans était debout à côté du lit.
- Merde alors, quesse tu veux? je lui ai demandé.
- Vous avez des bouteilles vides? il m’a demandé.
- Non, je n’ai pas de bouteilles vides, j’ai fait.
Il est sorti de la chambre à coucher, a traversé la pièce de devant, a franchi la porte et est parti.
- Seigneur, dit Lydia, j’croyais que la porte d’entrée était fermée à clef. C’était le petit garçon de Bonnie.
Lydia s’est levée pour fermer à clef la porte d’entrée. Elle est revenue et s’est allongée. Il était environ quatre heures de l’après-midi, un samedi.
J’ai replongé dans sa chatte.

21 mars 2010

Goliarda Sapienza

Le roman L'art de la joie ne fut publié qu'en 1998, deux ans après la mort de son auteur, la comédienne et écrivain Goliarda Sapienza. Il raconte l'histoire de Modesta, née en Sicile le 1er janvier 1900. Voici la scène où encore gamine, elle retrouve Tuzzu, un jeune homme du voisinage, et atteint avec lui le même plaisir que celui de ses caresses solitaires accompagnant les crises de folie de sa soeur Tina.


Un siècle passa. Je n’osais parler. J’avais peur qu’il ne se détache de moi. Et puis, même si je l’avais voulu, je n’avais à présent même plus la force de bouger les lèvres. Je ne connaissais pas cette étrange fatigue douce, pleine de frissons qui empêchaient de sombrer. Derrière mon dos s’était assurément ouvert tout grand un précipice qui me donnait le vertige, mais ces frissons me tenaient suspendue dans le vide. J’ouvris les yeux et j’entendis ma voix qui disait:
- Maintenant je sais ce qu’est la mer.
Il ne répondit pas, et me fixant sans bouger, il me retira ma jupe, releva mes sous-vêtements et m’arracha ma culotte. Il ne bougeait pas, mais avec ses doigts, en me fixant toujours, il commença à me caresser juste comme je le faisais moi-même quand Tina criait. Brusquement, avec un sursaut, il écarta son visage. Il s’en allait?
- Non, je suis là, où veux-tu que j’aille? Maintenant je dois rester là.
Rassurée, je fermai les yeux. Tina criait et tout mon corps était secoué de ces frissons que je connaissais. Puis les caresses se firent si profondes que… comment faisait-il? Je le regardai. Il m’avait ouvert les jambes et son visage était enfoncé entre mes cuisses; il me caressait avec la langue. Bien sûr que je ne pouvais pas comprendre si je ne le regardais pas: ça, je ne pouvais pas le faire toute seule. Cette pensée me donna un frisson si profond que les cris de Tina se turent et c’est moi qui hurlai fort, plus fort qu’elle ne criait, elle, quand maman l’enfermait dans les cabinets… Je m’étais évanouie ou j’avais dormi? Quand j’ouvris les yeux il y avait un grand silence sur la plaine.
- Il faut que nous arrêtions là, maintenant, petite fille. Même si tu es une moins que rien, je ne veux pas te démolir la vie. Remets ta culotte et file. Profite de ce que j’aie réussi à me remettre la tête en tête en place quand tu me l’avais fait perdre. Oh, bon Dieu, tu me l’as vraiment fait perdre. Qui l’aurait cru? Tu es attirante, vraiment attirante, mais je ne veux pas te démolir la vie. Debout et file!

18 mars 2010

Lucia Etxebarria

Amour, Prozac et autres curiosités , publié en 1997, est un grand succès commercial en Espagne. Dans ce livre dans l’air du temps, Lucia Etxebarria raconte la vie de trois sœurs qui ont pour point commun une vie sentimentale cahotique. Dans l’extrait suivant, Rosa raconte la cérémonie de mariage de sa sœur au cours de laquelle elle revoit un vieil ami Gonzalo.


(photo de Laurent Benaïm)

Toutes les fantaisies d’adolescente me revinrent en tête, ces rêves dans lesquels je me glissais dans la chambre de Gonzalo et où je l’embrassais sur tout le corps: les tempes, les paupières, les commissures des lèvres, le cou, les épaules, les mamelons, le ventre, le nombril, et Gonzalo restait endormi et ne se réveillait pas. Mes fantaisies d’adolescente n’allaient pas plus loin.
Mais la Rosa de vingt ans que j’étais, toute vierge qu’elle fût, savait comment les alimenter.Mes lèvres poursuivraient jusqu’à l’aine, et trouveraient un phallus parfait, énorme, presque arts déco, qui aurait l’air dessiné avec un aérographe, sans veines bleues ni imperfection, un phallus qui m’attendrait depuis des temps immémoriaux, et je le prendrais dans ma bouche jusqu’au fond, en respirant son odeur douceâtre, le caressant avec ma langue, puis je monterais sur lui comme je l’avais vu faire dans les films, et il me tiendrait fermement par les hanches, il me ferait bouger de haut en bas, laisserait les marques de ses doigts imprimées autour de ma taille et m’enlèverait d’un coup cette virginité incommode que je traînais depuis tant d’années.

14 mars 2010

Pascal Bruckner

Lunes de fiel, roman écrit par Pascal Bruckner et publié en 1981, est l'histoire de la déchéance amoureuse de deux couples se retrouvant par hasard à voyager ensemble sur un paquebot. L’un des deux hommes fait à l’autre le récit de son aventure avec sa compagne. Pour les amateurs, je signale qu’un peu plus loin après le passage présenté ici, le roman nous offre des scènes fort poétiques d’ondinisme et de scatophilie.


… si je la regardais d’un œil distrait, je lui trouvais, pardonnez le détail, la fente discrète, timide comme si elle avait voulu en cacher l’impudeur en la dissimulant dans les replis du ventre. Mais dès les premières caresses, ce petit animal s’étirait, écartait le berceau d’herbes où il dormait, redressait la tête, devenait une fleur gourmande, une bouche de bébé glouton qui tétait mon doigt. J’adorais taquiner de ma langue le museau du clitoris, l’exciter puis l’abandonner humide et luisant à son irritation, petit canard barbotant dans une vague de chair rose. J’aimais lisser mes joues contre la lingerie précieuse de son ventre, plonge le nez dans ses bourrelets onctueux, parfois tendus, parfois relâchés comme des focs par le vent, friper du doigt cette immense draperie habitée de frissons et de soupirs. D’autres fois, j’aurais voulu m’asseoir, les jambes ballantes au bord de cet orifice et observer minute par minute l’évolution de ce madrépore géant, enregistrer chaque palpitation, chaque respiration de ses pétales inondés d’un nectar irrésistible.

10 mars 2010

Pierre Bourgeade

Un an après sa disparition, voici un hommage à Pierre Bourgeade, l’héritier de Bataille dont l’œuvre tourne souvent autour de l’érotisme et de la mort. Le texte suivant est extrait de Warum, roman publié en 1999.


Le surlendemain, nous retrouvâmes Eva à la pâtisserie du Trocadéro. Après avoir pris le thé, nous nous rendîmes dans un petit hôtel de la rue Saint-Didier, la Résidence des Fleurs, qui louait des chambres à l’heure. Les chambres n’étaient pas numérotées, elles portaient des noms de fleurs inscrits sur de petites plaques émaillées. Il y avait les lilas, les bleuets, les myosotis, les violettes, etc.,… et elles étaient entièrement tapissées, plafond compris, d’un tissu représentant ces fleurs. On nous donna la chambre des hortensias bleus, nous eûmes l’impression de pénétrer dans une boîte géante remplie d’hortensias. Je commandai une bouteille de champagne. Eva enleva son trench-coat, s’allongea sur le lit et attendit. Elle portait sa longue robe de coton rêche, sans ceinture, dans les tons grèges. Elle avait le visage très blanc, les paupières noirs de fard, les yeux allongés d’un trait de crayon jusqu’aux oreilles. Lucienne s’assit à côté d’elle, déboutonna la robe, sous laquelle Eva était nue. Lucienne se pencha, embrassa les seins, descendit, embrassa le ventre. Eva écarta les cuisses. Je m’assis à hauteur de son visage, essayant de lui faire mettre le nez dans ma braguette, mais elle détourna la tête. Je ne bandai pas. Je glissai la main dans les cheveux de Lucienne, lui grattai le crâne. Lucienne suçait avec fougue, ahanant. Je regardai les cloisons d’hortensias bleus, le plafond d’hortensias bleus, les rideaux d’hortensias bleus, puis je pensai que nous étions des nains déguisés en hortensias bleus occupés à donner un spectacle hard dans un bocal plein d’hortensias bleus pour un Dieu solitaire dont l’œil nous voyait, caché dans l’un des hortensias bleus du plafond. Eva poussa un petit cri. «Tu me mords!» Lucienne releva le visage, bouffi de plaisir. «Tu es trempée comme une soupe» dit-elle. Du revers de la main, elle s’essuya la bouche. Eva regarda sa montre. «Il faut que je parte, j’ai un rendez-vous.» Elle se leva, passa dans la salle de bains. Cinq minutes après, elle réapparut, passa son trench-coat. «Mercredi prochain, à la même heure?» demandai-je, d’une voix croassante tellement j’avais peur qu’Eva répondît «Je ne sais pas». Mais elle répondit simplement «OK». Elle fit un petit signe de la main à Lucienne et sortit. «Pas mal» dit Lucienne. Puis, se tournant vers moi: «Tu veux que je te suce?» «Au point où on en est…» J’ôtai mon pantalon et mon slip et je me rassis sur le bord du lit. Lucienne approchait, à quatre pattes. Elle ouvrit son chemisier et, de la main droite, fit sortir ses seins de son soutien-gorge. «Tu crois que le Bon Dieu te voit?» demandai-je. «C’est lui qui m’a faite, non?»
Peu après, je m’endormis.

4 mars 2010

Witold Gombrowicz

Cosmos, publié en 1965, est une œuvre de Witold Gombrowicz qui peut se lire comme un roman philosophique. Derrière le récit d’un jeune étudiant échoué dans une pension de famille au fond de la Pologne et engagé dans la résolution obsessionnelle d’un rébus pseudo policier, on devine un érotisme étrange et une idée de la réalité considérée comme une mise en forme de fantasmes.


Elle était mariée! Le mari apparut comme nous étions en train de manger. Il penchait sur son assiette un nez oblong tandis que j’examinais avec une curiosité désagréable ce partenaire érotique de Léna. Bouleversement. Je ne nourrissais aucune jalousie, mais Léna était devenue pour moi différente, complètement transformée par cet homme, cet étranger si bien introduit dans les replis les plus secrets de cette bouche.