28 nov. 2009

Pierre Guyotat

Un mois après sa sortie en 1970, Eden, Eden, Eden de Pierre Guyotat fut frappé d’une triple d’interdiction : affichage, publicité, mineurs.
Cela mérite trois extraits dont le premier écrit par Michel Leiris est tiré de la triple préface de l’édition de 1970 , qui comprenait également une contribution de Roland Barthes et une de Philippe Sollers. La guerre d'Algérie forme la toile de fond de ce livre.


Les choses y sont prises sur un mode auquel les nuances psychologiques sont étrangères et qu’on ne peut même pas qualifier de ‘biologique’ (ce qui serait trop restrictif et risquerait en outre de suggérer un vitalisme tout proche du panthéisme), mode qui est en vérité celui du contact pur et nu – exempt de toute interprétation faisant écran – avec des corps vivants et les objets fabriqués qui constituent leurs coques ou leurs appendices.
(M.Leiris)



Extrait 1
les bergers, leurs boules sécrétives écrasées sous leur cul contre l’ossature des moutons, leurs pieds nus enfoncés dans le sable chaud, leur langue répandue sur leur menton, halètent, jappent ; des chiens en rut se roulent dans le blé, mordillent les robes des femmes ; se roulent dans le sable, mordillent le sexe des bergers ; un chien roux lèche la plaie de la fillette, va se frotter à la jambe du mieux membré des bergers, lui jette sa langue brûlante entre les cuisses ; la langue enveloppe le sexe ; le souffle du chien baigne le bas-ventre du berger, la bave ruisselle sur sa cuisse ; le berger, raidissant ses jambes contre les flancs du mouton – le craquement des muscles effraie le chien qui se jette de côté : sur un plissement mouillé d’écume des lèvres du berger, un pet léger de celui-ci qui bouffe la toison en arrière de son cul, la bête revient, re-cueille le sexe sur sa langue – , ahane, ses doigts accrochés aux oreilles du mouton ; le foutre jaillit, le chien le retient dans sa langue recourbée, le porte dans le blé, aux pieds des femmes ;

Extrait 2
La femme, penchée, lisse les mèches balancées ; le garçon renverse sa tête en arrière ; les doigts de la femme criblent son cou incurvé où les vertèbres ondulent sous la poussée de la salive ; le garçon prend ces doigts, les porte, luisant de khôl, à ses lèvres, en baise les menus ongles carrés ; sous l’étoffe collée, le cou palpite, s’entrouvre ; un coup de vent mord leurs reins roués ; le garçon, pivotant sur ses talons, étreint les reins de la femme, appuie ses lèvres sur le pubis, lèche l’étoffe collée, couvre de sa langue, plus bas, l’enflure spongieuse de la toison, l’aplatit sous ses lèvres grosses, fouille, de la pointe de sa langue jusqu’au retroussis du con ; la femme presse le versant de sa cuisse contre la joue du garçon ; la semence aquhuilée ruisselle sur son genou, l’écume mousse à la commissure de ses lèvres maculées de khôl ; un coup de vent mouillé module une série de pets brefs exhalés hors du cul du bébé assoupi ; le garçon retrousse de ses deux mains la dokhala, enfouit, dessous, sa tête durcie au gel latent ; la femme recule, s’élance, court vers l’abri ;

24 nov. 2009

Zeruya Shalev

Dans La vie amoureuse, roman publié en 1997, Zeruya Shalev raconte la passion incompréhensible de Ya’ara, la narratrice, pour Arieh, homme manipulateur et pervers.




… j’avais l’impression que mes forces décuplaient, je me sentais capable de lécher sa peau mate et parfumée de la tête aux pieds, et je m’y employai, il me semblait que j’allais rassembler les morceaux épars, comme s’il était une découverte archéologique rare dont j’avais retrouvé les pièces que je devais recoller avec ma salive, j’étais curieuse de découvrir ce qui allait en sortir mais je ne devais pas ouvrir les yeux avant d’avoir fini. Immobile, telle une statue, il fumait en silence, je l’entendais rire de loin en loin, petit à petit, je reconstituai ses jambes fines, son superbe pénis qui s’étira entre ses cuisses comme après un long somme, et je poursuivis plus haut, je n’avais presque plus de salive mais je persévérai, je ne voulais pas m’interrompre au milieu et le laisser sans la tête ni les épaules. Quand j’eus terminé, je contemplai mon œuvre avec orgueil, le résultat était remarquable, un homme entièrement recréé, harmonieusement proportionné, je me demandai si Dieu avait éprouvé les mêmes sentiments à la création d’Adam, c’était enivrant d’avoir quelque chose en commun avec Dieu, en même temps, ça me brûlai en bas, je lui pris la main, regarde comme c’est chaud, un vrai four, il eut un air faussement inquiet en commençant à me déshabiller, c’est dangereux la température doit baisser, il prit un cube de glace qui flottait dans son verre, le mit dans sa bouche et l’introduisit tout doucement à l’intérieur, liquéfiée de plaisir, je le sentais se dissoudre en moi, j’exultai, j’ai enfin réussi à te faire fondre, mon amour, j’ai enfin réussi à te faire fondre.

17 nov. 2009

Josef Winkler

Le serf , publié en 1987, est le premier livre de Josef Winkler traduit en français. C’est une chronique familiale, une peinture violente d’un village de Carinthie et de son catholicisme doloriste. Josef Winkler a reçu en 2008 le prix Büchner, le plus prestigieux de la littérature de langue allemande.

Agenouillé dans le Goethepark devant les hanches dénudées d’un garçon, Konrad entend un air d’opéra provenant du théâtre municipal de Klagenfurt. Le garçon blond est debout devant un arbre, au milieu des buissons, la tête renversée en arrière, tandis que crépitent les applaudissements dans la salle. Ses mains se cramponnent à la nuque de Konrad, sous le balcon où passent les ombres des dames et des messieurs de la belle société, une coupe de champagne à la main. Son membre fourrage dans la bouche de Konrad qui distingue au goût de sa semence s’il consomme trop d’alcool, de nicotine ou de stupéfiants. Les couilles du garçon, blondes comme des blés, sont aussi flétries que le visage ridé d’une dame dans sa loge, sa lunette d’opéra à la main. Si seulement quelqu’un déversait de la merde et du sang sur la scène, et racontait les souffrances d’un homme qui depuis des jours erre dans le parc en quête d’un garçon !
Konrad est debout dans la discothèque et dévisage le garçon blond aux cheveux bouclés qui se sait observé et se souvient des lèvres de Konrad, collées sur ses cuisses. C’est maintenant à une jeune fille que ce garçon arrachera les vêtements, de ce même geste dont Konrad lui ôta sa vareuse sous les feuilles bruissantes de l’arbre, pour la jeter sur l’une des branches. Des flocons de neige brûlants tombent entre les cuisses de la fille, tandis qu’elle presse ses mains sur les fesses du garçon couvertes d’un léger duvet. Elle tourne la tête et voit tressaillir les orteils de son amant. Un clown, le visage couvert de sang, pose sa tête contre la hanche du garçon. Il n’ose pas raconter à la fille que la veille, dans le parc du théâtre, il s’est fait ouvrir la braguette de son jean de Christ. Il se rendort et rêve d’un garçon qui pèse du sang avec une balance de la fortune. Il se réveille en sursaut, sort de son lit, ouvre la porte et va sur le balcon. La ville est plongée dans le brouillard. Il a la chair de poule et ressent des picotements par tout le corps.
Le garçon blond, épuisé, s’appuie contre le tronc de l’arbre. Konrad applique ses lèvres sur ses cuisses, comme une sangsue. Le garçon pense aux légers coups de poignard du foutre qui gicle, aux minuscules embryons de poupées en plastique qui s’écoulent dans la bouche de Konrad ; il songe aux poissons dans l’aquarium qui ouvrent et ferment la bouche, comme lui à l’instant du plaisir. Il casse les dents d’un masque mortuaire. Une sage-femme, déguisée en oiseau des morts, ramasse du petit bois pour le lit funèbre d’un enfant. Les mouches de son enfance grandissent sur le rebord de la fenêtre jusqu’à ce que leur corps fasse exploser les murs de la maison parentale. Le garçon blond au jean de Christ pose le regard sur les filaments de l’ampoule d’un réverbère, dans le parc, puis il ferme les yeux et s’imagine que toutes les ampoules de cette ville explosent. Des chevaux de verre se cabrent et font des cabrioles à l’intérieur de ses couilles. Ils voient deux autres pédés remonter le sentier du parc dans leur direction. Le bruit de leurs pas s’assourdit. Ils entendent venus du théâtre de la ville, les accords d’un solo de violon. Il voit les hôtes du théâtre, debout sur le balcon, buvant du champagne et fumant des cigarettes. A dix mètres de là, dans les buissons du parc, un homme est agenouillé aux pieds d’un garçon et quémande un peu d’amour.

14 nov. 2009

David Foster Wallace

David Foster Wallace a clos en septembre 2008 son œuvre inachevée et 25 ans de dépression en se pendant sur la terrasse de sa maison californienne.
La fonction du balai, son premier roman, publié aux Etats-Unis en 1987 et traduit en français en 2009, mêle l’absurde et le loufoque aux réflexions philosophiques et littéraires.
Voici un passage où Rick, un éditeur tourmenté, résume à sa petite amie Lenore l’un des nombreux manuscrits qu’il reçoit : l’histoire d’une femme névrosée, délivrée de l’influence maléfique de son psychologue par un dentiste devenu son époux.



… le psychologue a un petit sourire en coin, glousse et mate en douce le corps de la femme sous sa robe de mariée. »
« Je suis fatiguée. »
« Un matage devenu futile, pourtant, car même si la femme a toujours un besoin pathologique d’attention et d’activité sexuelle pour réfréner les violents soubresauts de sa névrose, disons que ce besoin est plus que satisfait par le dentiste théorique, chez qui la femme a réveillé un accès de passion et un désir d’intimité que le dentiste n’avait pas ressenti depuis sa jeunesse, quand il était frais émoulu de chez les scouts. Là, un long passage est consacré à la description graphique des implications de ces accès réveillés et de ces besoins satisfaits, dont les plus saisissantes impliquent un appareillage dentaire utilisés dans des buts qui – bien qu’émotionnellement innocents et donc dans le fond parfaitement convenables – outrepassent de loin les fantasmes les plus fous du dentiste. Si tu me suis. »

10 nov. 2009

Georges Bataille

Madame Edwarda est une nouvelle de Georges Bataille, imprimée en 1941 mais éditée pour la première fois en 1956 sous le pseudonyme de Pierre Angélique. Ce n'est qu'en 1967 que sort la première édition où apparaît le véritable nom de l’auteur.




De mon hébétude, une voix, trop humaine, me tira. La voix de Mme Edwarda, comme son corps gracile, était obscène :
- Tu veux voir mes guenilles ? disait-elle
Les deux mains agrippées à la table, je me tournai vers elle. Assise, elle maintenait haute une jambe écartée : pour mieux ouvrir la fente, elle achevait de tirer la peau des deux mains. Ainsi les « guenilles » d’Edwarda me regardaient, velues et roses, pleines de vie comme une pieuvre répugnante. Je balbutiai doucement :
- Pourquoi fais-tu cela ?
- Tu vois, dit-elle, je suis DIEU…
- Je suis fou…
- Mais non, tu dois regarder : regarde !
Sa voix rauque s’adoucit, elle se fit presque enfantine pour me dire avec lassitude, avec le sourire infini de l’abandon : « Comme j’ai joui ! »

Mais elle avait maintenu sa position provocante. Elle ordonna :
- Embrasse !
- Mais…, protestai-je, devant les autres ?
- Bien sûr !
Je tremblais : je la regardais, immobile, elle me souriait si doucement que je tremblais. Enfin, je m’agenouillai, je titubai, et je posai mes lèvres sur la plaie vive. Sa cuisse me caressa mon oreille : il me sembla entendre un bruit de houle, on entend le même bruit en appliquant l’oreille à de grandes coquilles. Dans l’absurdité du bordel et dans la confusion qui m’entourait (il me semble avoir étouffé, j’étais rouge, je suais), je restai suspendu étrangement, comme si Edwarda et moi nous étions perdus dans une nuit de vent devant la mer.

8 nov. 2009

William Burroughs

C’est à Paris en 1959 qu’est publié pour la première fois Le Festin nu, l’œuvre emblématique de William Burroughs. Le livre reste interdit quelques années aux Etats-Unis après sa parution là-bas en 1962.



Sur l’écran. Un rouquin aux yeux verts, à la peau blanche piquetée de taches de son… Il embrasse une petite brune en pantalons. Coiffure et vêtements évoquent les bars existentialistes de toutes les capitales du monde. Ils sont assis sur un lit bas recouvert de soie blanche. La fille déboutonne la braguette du rouquin avec des doigts câlins et en extirpe son sexe menu mais dur comme du bois, couronnée d’une perle de lubrifiant qui scintille. Elle le caresse tendrement. « Déshabille-toi, Johnny. » Il obéit prestement et se poste devant elle, pointant au ciel. Elle lui fait signe de se retourner et il pirouette de-ci de-là, main sur la hanche à la façon d’un mannequin… Elle ôte son chemisier. Ses seins sont petits et plantés haut, le bout durci et palpitant. Elle fait glisser son slip. Sa toison est d’un noir brillant. Il s’assied à côté d’elle et tend la main vers ses seins, mais elle retient son poignet.
- Je veux te plumer, mon chéri, souffle-t-elle.
- Non, pas maintenant.
- Je t’en prie, j’en ai si envie… Viens…Elle l’entraîne dans la chambre. Il s’allonge jambes en l’air, les bras croisés autour des tibias. Elle, à genoux, lui caresse la face interne des cuisses, suit du doigt le tracé périnéal, puis se penche, lui écarte les joues et darde la langue, de plus en plus profond, avec un lent mouvement circulaire de la tête, et de nouveau le périnée, ses petites bourses tendues… Il ferme les yeux, se tortille. Elle referme la bouche sur la goutte qui perle à son gland circoncis, va et vient en cadence, pausant en instant en haut de course, la tête remuant toujours en cercles lents. De la main elle joue doucement avec ses bourses, puis glisse plus bas et le sodomise du majeur, lui taquinant la prostate. Il sourit, pète moqueusement. Elle le tient englouti presque jusqu’à la garde, suce avec frénésie croissante. Le corps de Johnny se contracte vers son menton, les contractions sont de plus en plus longues. « Aiiiiiiiiiiie ! » crie-t-il, les muscles bandés, et son corps tout entier tente de s’échapper par la queue. Mary avale les grandes giclées brûlantes qui lui emplissent la bouche. Il laisse retomber ses jambes sur le lit, creuse les reins et bâille…

5 nov. 2009

Haruki Murakami

Haruki Murakami publie en 1994 un roman onirique et mystérieux, Chroniques de l’oiseau à ressort. L’extrait suivant relate le rêve du personnage principal , l’attachant Toru Okada.




Comme la dernière fois, j’étais assis sur le lit. Je portais un costume et une cravate à pois.
- Ne pensez à rien, monsieur Okada. Ne vous inquiétez-pas, dit-elle. Tout va bien.
Et comme la dernière fois, elle ouvrit ma braguette, sortit mon pénis et le mit dans sa bouche. Seule différence : à présent, elle n’enlevait pas ses vêtements. Creta Kano gardait sur elle la robe de Kumiko. J’essayai de bouger. Impossible, mon corps était comme attaché par des fils invisibles. Mon pénis, lui, avait grandi et durci instantanément dans sa bouche.
Je vis trembler la pointe de ses cheveux bouclés et vibrer ses faux cils. J’entendis ses bracelets s’entrechoquer. Sa langue, longue, douce, s’enroulait autour de mon pénis et le léchait partout. Puis au moment précis où j’allais éjaculer, elle s’écarta de moi, entreprit de me déshabiller. Lentement, elle me retira veste, pantalon, cravate, chemise, slip, et quand je me retrouvai nu, elle m’allongea sur le dos. Mais elle-même ne se déshabillait toujours pas. Assise sur le lit, elle saisit ma main et l’amena doucement sous sa robe. Elle n’avait pas de culotte. Mes doigts sentirent la chaleur de son sexe. C’était profond, chaleureux, très humide. Mes doigts entrèrent à l’intérieur sans aucune résistance, comme absorbés.

2 nov. 2009

Marguerite Duras

Marguerite Duras publie en 1980 un texte ne dépassant pas 40 pages , L'homme assis dans le couloir, récit d'une relation sexuelle et de la violence faite par l'un au corps de l'autre au travers du regard d'un voyeur-narrateur.



Elle se serait avancée lentement, elle aurait ouvert ses lèvres et, d’un seul coup, elle aurait pris dans son entier son extrémité douce et lisse ; Elle aurait fermé les lèvres sur l’ourlet qui en marque la naissance. Sa bouche en aurait été pleine. La douceur en est telle que des larmes lui viennent aux yeux. Je vois que rien n’égale en puissance cette douceur sinon l’interdit formel d’y porter atteinte. Interdite. Elle ne peut pas le prendre davantage qu’en la caressant avec précaution de sa langue entre ses dents. Je vois cela : que ce que d’ordinaire on a dans l’esprit elle l’a dans la bouche en cette chose grossière et brutale. Elle la dévore en esprit, elle s’en nourrit, s’en rassasie en esprit. Tandis que le crime est dans sa bouche, elle ne peut se permettre que de la mener, de la guider à la jouissance, les dents prêtes. De ses mains elle l’aide à venir, à revenir. L’homme crie. Les mains agrippées aux cheveux de la femme il essaye de l’arracher de cet endroit mais il n’en a plus la force et elle, elle ne veut pas laisser l’homme. La tête du corps emportée gémit, jalouse et délaissée. Sa plainte crie de venir, de revenir à lui, elle crie la suppliciante contradiction qu’on lui veuille un tel bien. A elle, à la femme, il n’importe pas. Sa langue descend vers cette autre féminité, elle arrive là où elle se fait souterraine et puis elle remonte patiemment jusqu’à reprendre et retenir encore dans sa bouche ce qu’elle a délaissé. Elle la retient au bord d’être avalée dans un mouvement de succion continue. Il n’essaie plus rien de nouveau. Yeux fermés. Seul. Sans gestes, il crie.
Là-haut, le cri, la plainte se fait plus aiguë, elle est presque enfantine d’abord et ensuite elle s’approfondit, elle devient si douloureuse, tant, que la femme doit lâcher prise. Elle lâche, se retire, amène les cuisses plus près d’elle, les écarte et regarde et respire l’odeur humide et tiède. Elle s’attarde, le visage enfoui dans ce qu’il ignore de lui, respire longuement l’odeur fétide.