27 oct. 2009

Juan Manuel de Prada

La vie invisible , roman publié en 2003, raconte la rencontre d'un écrivain madrilène avec deux femmes entrées dans la folie : la jeune espagnole Elena et l'américaine Fanny, inspirée de l'icône fétichiste Bettie Page, pin up des années 50.






Une minute avant de sentir le fil d’une lame de poignard presser sa jugulaire, Fanny sait déjà que la danse ne figure pas parmi les projets prioritaires de la bande. La dernière partie du trajet en rase campagne, où l’automobile finit par s’arrêter, se passe dans un silence bourbeux que ne rompent que la trépidation du moteur et les obscénités que crachent de temps en temps ses ravisseurs, pendant que leurs mains de batraciens lui palpent les seins, par-dessus son pull. Les larmes lui ont brouillé la vue, tout comme la pluie qui s’est mise à tomber a opacifié le pare-brise, quand on lui ordonne de sortir de la voiture, à l’abri des regards entre les monticules de détritus d’une décharge publique ; l’humidité a fait fermenter toutes ces immondices d’où monte dans le crépuscule une puanteur qui soulève le cœur. Tandis qu’elle patauge parmi les ordures, tandis que ses ravisseurs lui annoncent, d’une voix de cauchemar qui semble venir de très loin, les sévices qu’ils se proposent de lui infliger, Fanny se souvient, en un éclair de lucidité désespérée, que quand elle avait ses règles les gamins de l’école renonçaient, écœurés, à leur harcèlement sexuel. « Je crois que ça ne va pas vous plaire, balbutie-t-elle d’une voix à peine audible entre les sanglots qui lui nouent la gorge, je viens d’avoir mes règles. » Alors qu’elle n’osait même plus l’espérer, l’avertissement a un effet dissuasif sur les violeurs, qui se lancent aussitôt dans un conciliabule, afin de décider de leur réaction face à cette complication imprévue. Pendant ce temps, la pluie tambourine, monotone, sur les montagnes d’ordures, brouille les contours du monde, plaque la chevelure de Fanny sur son crâne, lui ôte son éclat d’aile de corbeau, lui donne l’aspect d’une loque, et dissout le Rimmel de ses cils, qui coule sur ses joues et souille ses larmes. Dans le tambourinement continu de la pluie et le marasme de l’horreur, Fanny entend la proposition de l’un des ravisseurs, qui est de lui faire la peau sans attendre. En définitive, la solution moins criminelle qui prévaut est celle de l’homme qui l’a piégée devant la vitrine de l’avenue Michigan (mais, à ce moment-là, elle ne le reconnaît même plus), solution qui est aussi la plus réfléchie et la plus satisfaisante, puisque tous les cinq désirent assouvir les appétits bestiaux qui les ont conduits jusqu’à la décharge. Ils lui ordonnent de s’agenouiller sur les détritus qui déchirent ses bas et lacèrent ses genoux, et l’obligent à leur faire une fellation ; l’un après l’autre, ils soulagent leur excitation dans la bouche de Fanny, sa bouche qui était faite pour garder un sourire convulsif et pétillant, sa bouche aux lèvres chargées de promesses qui, après cette épisode, resteront fendues et muettes. C’est ainsi qu’ils la laissent, chiffe frissonnante qui gémit avec un très léger bruit guttural, sous la pluie qui la plonge toujours plus profondément dans les monceaux d’ordures.

25 oct. 2009

Bret Easton Ellis

American Psycho est publié en 1991 et rencontre un énorme succès planétaire. C'est l'histoire outrancière d'un yuppie new-yorkais, tueur en série et amateur de marques de luxe.


Chez elle, à présent. Elle est couchée sur le dos, nue, les jambes écartées – des jambes bronzées, aérobiquées, musclées, entraînées –, et je suis à genoux, en train de la sucer tout en me masturbant ; depuis que j’ai commencé à la lécher et à lui bouffer la chatte, elle a déjà joui deux fois, et son con est tendu et brûlant et mouillé, et je lui écarte et la doigte d’une main, tout en me branlant de l’autre. Je lève son cul, souhaitant y mettre ma langue, mais elle refuse, et je relève la tête, tends le bras vers la table de chevet ancienne de chez Portian pour prendre le préservatif posé dans le cendrier du Palio, à coté de la lampe halogène Tensor et de l’urne en terre cuite de chez d’Oro, et déchire l’emballage entre mes dents et deux ongles brillants et lisses, puis l’enfile sur ma queue, sans difficulté.

22 oct. 2009

William T. Vollmann

La prostitution est un des thèmes de prédilection de l'écrivain américain William T. Vollmann, lauréat en 2005 du prestigieux National Book Award . En 2000, il a publié La famille royale, un roman fleuve qui a pour décor les bas fonds de San Francisco. La version française est l'oeuvre de Claro.

Pour une fois, deux extraits : deux chapitres dans leur intégralité.


Chapitre 205
Dès que sa langue eut touché son clitoris, sa bouche et sa gorge furent traversés par une odeur âcre et salée, les fluides de la Reine pareils à de la soude au contact de son palais, des fluides saumâtres, un peu comme cette soupe aux fruits de mer très saine que les Coréennes boivent pendant leur grossesse ; eût-il pu se convaincre que c’était la santé et non la mort qu’il buvait, qu’il eût peut-être été plus heureux. Plus tard, il se ferait un long et minutieux bain de bouche ; il mettrait sur le poisson-chat qu’on lui servirait de la sauce très épicée ; mais une fois ses papilles lavées, le goût de la Reine lui revint. Il le sentait même sur ses doigts à présent, bien qu’il n’eût jamais touché son con autrement qu’avec la langue. Quand il la suçait, il ne respirait que par la bouche. Sa langue se retrouva vite à mariner dans cet antre âcre et salé. Il comprit alors qu’il buvait le sperme d’autres hommes.

Chapitre 308
Le con de la Reine avait le goût du crack. Les filles pouvaient s’y abreuver toute la journée et le manque disparaissait.. Mais plus elles buvaient, plus elles devenaient accros. (De même Celia raffolait du muscle aiguisé derrière les genoux de John.) Sa salive produisait exactement l’effet inverse.

19 oct. 2009

Sandro Veronesi

Sandro Veronesi publie Chaos calme en 2005 et obtient le prix Strega en Italie en 2006 puis le prix Fémina étranger en 2008. Le début du livre : un homme sauve une femme qui se noie et apprend en rentrant à la maison que sa compagne vient de décéder brutalement. Il retrouvera plus tard l’inconnue sauvée des eaux, dans un corps à corps d'un genre différent. Voici un long extrait de cette scène.



Bien sûr nous continuons à nous embrasser, mais désormais ce sont des baisers sans saveur, un dérivatif, nous avons l’esprit ailleurs. Nous ne faisons plus un, comme tout à l’heure pendant que je la mordais ; il n’y a plus cet abandon végétal, nous sommes redevenus deux individus distincts qui pompent de l’adrénaline dans les sombres cavernes de leur moi et s’agitent l’un sur l’autre dans la tentative d’apaiser la fringale qui en découle – presque en compétition l’un avec l’autre, oui, presqu’en lutte. Et c’est elle qui élève le niveau de cette compétition, en franchissant le pas que Patrizia Pescosolido avait employé un long hiver à franchir, à savoir passer de l’extérieur à l’intérieur de la braguette. Je sens sa main forcer sur les boutons, les arracher presque, glisser dans le slip pour empoigner ma queue comme un marteau. Et moi alors, toujours par symétrie, je soulève son tee-shirt jusqu’au cou, dévoilant le blanc absolu de ses seins, et je les empoigne aussi, oui, je m’en remplis les mains, je les presse, je les sens déborder de mes doigts – je les utilise, on peut bien le dire, dans le but ultime pour lequel ils ont été réalisés. Je m’en rassasie, c’est indéniable, mais maintenant quelque chose de mécanique marque la correspondance qui s’est établie entre sa main et les miennes, si elle me griffe le pubis, aussitôt je serre son téton plus fort, comme si le dialogue qui ne s’est jamais instauré entre nous se présentait soudain sous cette forme teigneuse et primitive, sans aucune tendresse, aucune liberté. Et comme cette femme n’est pas Patrizia Pescosolido, que nous n’avons pas seize ans, que nous ne sommes pas dans la mansarde de Gianni Albonetti dit ‘Futur’ et que nous ne pouvons pas passer la nuit à la façon dont, en revanche, nous adorions passer des après-midi entiers, à nous embrasser et à palucher nos parties nobles, voici que je ne suis déjà plus assouvi, et que se manifeste une intuition basse – géniale, s’il s’agissait d’une compétition, mais aride et désolante, il faut le reconnaître, si l’on pense que ce devrait au contraire être une union -, puisque cette fois , c’est moi qui fais le pas suivant, en me jetant avec la bouche sur ses tétons, en les suçant, d’abord l’un, puis l’autre, puis tous les deux en même temps (parce qu’on peut carrément l’entasser, cette chair armée en une masse critique d’une hauteur impressionnante) avec une avidité impudemment tactique parce qu’on ne peut pas dire que ce soit mieux ainsi – au contraire, c’est pire, les distances sont à nouveau annulées et la vision mythique des seins épanouis au-dessous du tee-shirt roulé a disparu – sauf que, dans le mécanisme qui nous gouverne, elle ne peut répondre à mon geste que d’une seule et unique façon. Oh, je sais, Eleonora Simoncini : je connais la règle qui régit ces choses entre les bourgeois que nous sommes, je sais que la première fois on ne la prend jamais dans la bouche ; je ne dis pas que je l’approuve, car pour ma part je la trouve inutile, absurde et plutôt hypocrite, mais je sais qu’elle a cours et je t’assure que dans le passé, je l’ai toujours respectée, si ça peut avoir une importance, ou je l’ai peut-être subie, mais en tout cas, je l’ai acceptée ; mais cette nuit, c’est différent et maintenant je désire l’enfreindre, cette nuit est une exception à toutes les règles et maintenant je désire que tu me suces la queue, et la fougue canine avec laquelle je te suce les tétons n’est rien d’autre que l’ordre de passer à l’action. Tu n’as pas le choix, mesure-le : je suce ce que tout à l’heure je tenais dans mes mains ; tu tiens ma queue dans ta main, alors c’est à toi maintenant de sucer : logique imparable, non ?
Et elle passe à l’action. Ni soumise ni hésitante, sans donner du tout l’impression de subir une quelconque coercition : au contraire, maîtresse de ses gestes et même contente de les accomplir, à en juger au regard réjoui qu’elle me lance avant de descendre le long de mon ventre ; voilà qu’elle soulève mon tee-shirt et commence une tortueuse marche d’approche en baisers et suçotements, le long de ma poitrine jusqu’aux poils autour du nombril, puis directement sur le nombril – mais il ne faudrait pas qu’elle insiste trop car il s’agit d’une espèce de torture, et il y a des femmes qui ne se rendent pas compte comme ça peut devenir insupportable… Mais non , elle n’insiste pas trop, elle continue sa descente et quand elle se retrouve avec ma queue pointée vers sa gorge, elle l’interprète correctement comme le signal de fin de course et cesse de me tourmenter. Nous y sommes : elle se met à genoux, finit de me déboutonner mon pantalon, le baisse tant qu’elle peut, baisse mon slip de la même façon, le tout avec la solennité nécessaire car elle est bien consciente de l’afflux de sérotonine que ce cérémonial provoque dans un cerveau masculin. Mais ensuite, elle a un geste étrange auquel je ne m’attendais pas : elle prend ma queue à la base et la soulève, en l’air comme si elle savait aussi combien il est agréable de la sentir affleurée par la brise de cette nuit marocaine et elle reste quelques secondes immobile à la regarder – à l’oxygéner, ai-je envie de dire, comme le bon vin avant de le boire ; puis elle souffle sur les boucles de cheveux qui tombent devant ses yeux et fourre mon outil dans sa bouche.
Oh, le début d’une pipe – Oh. Chaque fois, je m’étonne qu’une chose aussi simple soit aussi infaillible. Une bouche qui s’ouvre, et en route : un minimum de moyens. N’importe qui peut le faire. Et pourquoi ça n’arrive pas plus souvent ? Pourquoi en faisons-nous une marchandise si rare ? Nous sommes fous, tous.
Je ferme les yeux : tout est parfait, léger, étranger, et dans ma vie, je ne suis qu’un visiteur, un extraterrestre tombé du ciel d’une civilisation supérieure jusque dans la bouche chaude de cette femme. Oh, c’est merveilleux de rester ainsi, sans penser à rien, flottant dans un présent si pur et absolu que je n’arrive même pas à être dedans…
… Mais hélas, comme rappelés par cette absence de contrariété, voilà que les occupants de mon cerveau pointent leur nez, surpris, dérangés, envieux, chacun avec son commentaire à la con. Lara : « Comment peux-tu ? » ; Marta « Tu as vu ? Tu es un porc » ; Carlo : Tu as vu ? Tu as menti » ; Piquet : « Tu as vu ? Tu es un faux-jeton » ; la fiancée de Piquet : « Moi, je les fais mieux » ; le fils de Piquet : « Sept millions huit cent soixante-trois mille six cent quatorze »…
Je rouvre les yeux et la foule se disperse. Voyons : je ne fais rien, c’est une femme agenouillée dans l’herbe qui agit. Je ne suis qu’un mets consommé avec soin, mon état est fluide, je suis une idole qu’on vénère – pure inertie sensible, innocence, inconscience, dépendance… mais en gardant les yeux ouverts, je vois, et ce que je vois est pure pornographie – la tête qui ondoie entre mes jambes, les seins qui s’écrasent contre mes cuisses, les joues creusées par la succion – , qui excite à nouveau de la compétition, de l’insatisfaction, me filant une formidable envie de… de…
Oh, comment tout ça bascule-t-il si vite ? Si je ferme les yeux, tout se réduit à une fantaisie sexuelle grouillante, si je les garde ouverts, je suis de nouveau saisi du désir de m’emparer, de posséder, de donner du plaisir au lieu d’en recevoir. Donner du plaisir : ridicule. J’ai déjà fait beaucoup plus – il faut que je raisonne, nom de Dieu –, je lui ai sauvé la vie : sans moi, elle serait cendres dans une urne, alors le plaisir… – pleurée, incinérée et ensevelie aux cotés de son papa adoré dans le caveau de famille de quelque rutilant cimetière suisse, et le patrimoine fabuleux qu’il lui a laissé, ainsi que les postes auxquels elle lui a succédé dans les sociétés du groupe (chocolat Brick, d’abord, lait en poudre et préparations pour flan en ce qui concerne les produits sucrés, leur branche historique, ainsi bien sûr que toutes les holdings, les sociétés financières et les fiduciaires qui escamotent l’argent, mais aussi les récentes acquisitions issues de la foire d’empoigne de la globalisation, genre appareils de fitness, il me semble, et même structures gonflables pour parcs d’attractions), tout ça serait tombé aux mains de son salaud de mari ; raison pour laquelle, c’est pas compliqué, cette pipe, je la mérite, et elle est la première à le reconnaître, sinon elle n’y mettrait pas une telle dévotion… une telle –
Quoi, elle arrête ?
Non, elle n’arrête pas, elle m’embrasse les couilles. Et voici de nouveau la brise, waouh qui à présent, toutefois sur la peau humide de salive, paraît beaucoup plus fraîche, je frissonne…
« Je voudrais la garder toute la nuit dans ma bouche », déclare Eleonora Simoncini à voix haute, en serrant ma queue à un centimètre de ses lèvres, comme un micro. Et c’est magnifique à entendre : magnifique et déterminant, car c’est comme si elle m’avait invité à me laisser aller en arrière, en posture de shavasana, sur l’herbe, le regard dans les cimes des pins s’il s’avère que je ne peux pas fermer les yeux, et les étoiles floues, et la lune ardente, pendant qu’elle continue à poursuivre son idéal de vertu récompensée. Mais le sens de ses paroles a beau être rassurant, quelque chose dans leur son m’a bouleversé, quelque chose d’abrasif, oui, d’effilé, comme une espèce de coup de fouet sacré, lancinant qui m’ a traversé le corps dans toute sa longueur – la sensation physique la plus dérangeante que j’aie éprouvée dans ma vie. C’est passé maintenant, ça n’a duré qu’un instant et elle a recommencé à me sucer, concrète, productive, dans l’intention désormais manifeste de me faire jouir dans sa bouche ; mais la découverte qu’on peut éprouver ça déséquilibre et remet tout en question. Je m’entends lui ordonner :
« Répète-le. »
Eleonora Simoncini s’arrête à nouveau, dégage ma queue de sa bouche, envoie ses cheveux en arrière d’un mouvement de tête superbe, et me regarde, amusée. Puis elle réitère le petit jeu du micro, maintenant de façon ostentatoire, en prenant ma queue dans ses deux mains et en parlant au dessus les yeux fermés, comme font les chanteurs de charme qui doivent lui plaire.
« Je voudrais te sucer toute la nuit », répète-t-elle.
Cette fois, c’est encore plus fort, presque insupportable. La vibration, oui, la vibration que sa voix émet à un millimètre de mon chibre, l e »ou » et le « i » surtout, leur vibration : comme un coup tranchant qui pénètre le symbole même de la pénétration, une fréquence d’ongles crissant sur le tableau noir, et puis l’écho caverneux d’une plainte mortelle qui résonne au plus profond de mes reins, la réverbération d’une douleur lointaine et désespérée – c’est quoi cette espèce de mantra maléfique qui produit l’effet opposé de sa signification ? Car je ne me contrôle plus, c’est évident ; raté, le shavasana : la situation m’a échappé et je suis devenu une force aveugle, recrudescente, je lutte même pour plier la valeureuse résistance avec laquelle cette bouche refuse de se décoller de moi, naturellement je l’emporte, je me redresse, voilà, sur les genoux, je la relève elle aussi, de force, gâchant une pipe assurée en échange de quoi ? De ce nœud d’impératifs, de ce chaos ? L’embrasser, en reprenant du début, l’étreindre, la palper, la langue sur le cou, la langue sur les pôles de l’aimant, de la pile, de la prise électrique, les charges opposées s’attirent, les charges égales se repoussent, si votre adversaire au tennis vous attaque en coupant la balle répondez en lift car la rotation de la balle reste la même, l’empoigner, oui, la différence entre subversion et rébellion, le claquement de la vague sur le rocher, le craquement de l’œuf qui éclot, et puis la retourner, bien sûr que comme ça, c’est pire mais justement je veux que ce soit pire, je veux le pire, oui, le satanisme, iuo, erip el xuev ej, la retourner, la grande résistance des gens à admettre qu’ils se masturbent et la piètre figure que font ceux qui l’admettent volontiers, bref, elle ne veut pas se retourner, mais le sexe est manipulation, surtout pendant les vagues de chaleur exceptionnelles, et alors, l’immobiliser, Keanu Reeves arrête les balles en pleine trajectoire, au fond, j’ai déjà dû le faire pour la sauver, au fond qu’est le monosyllabe om sinon une vibration très puissante, pas besoin d’une vie antérieure, on voit chaque jour tant de visages que, lorsqu’on rencontre quelqu’un et qu’on a l’impression de l’avoir déjà vu, on l’a très probablement déjà vu, voilà, comme ça, l’immobiliser, puis la retourner, je sais, chanson, tu me l’avais dit, tu auras juste envie de rentrer chez toi, les trois stades de l’aliénation, je suis au travail et je rêve d’être à la mer, je suis à la mer et je rêve d’être à la mer, hé oui, la mer, la mer agitée, la bloquer avec un seul bras, maintenant, libérer l’autre, on remonte cette jupe, on baisse ce slip…

17 oct. 2009

Iegor Gran

Dans son premier roman sorti en 1998, Ipso facto, Iegor Gran raconte l’histoire d’un homme dont la vie bascule parce qu’il n’arrive pas à retrouver son baccalauréat et dont la libido prend des tournures inattendues.



Sur ce, je sors doucement de la salle à manger, je passe à coté de la pendule à l’entrée, et là maman me rattrape, on assiste à une scène d’Epinal, elle essuie ses larmes, elle court m’embrasser avant mon départ, allez mon petit n’écoute pas ce qui dit ton vieux père, il t’aime quand même tu sais, je sais maman je sais, on se tombe mutuellement dans les bras, on se console tant qu’on peut, c’était émouvant je peux vous le dire, les moments de cette intensité on s’en souvient toute sa vie. Brave maman, que je me disais en lui caressant la joue, comme tu es douce, tu embrasses comme une reine, tu es bien la plus belle de toutes les femmes. Tu vois comme le fruit de tes entrailles s’en est pris plein la figure dans la vie ? Mais tu vas le cajoler comme aucune Eve ne saurait le faire, oh oui t’es une experte maman, ton bambin tu le connais mieux que personne, tu sais où il faut que tu poses tes lèvres pour un maximum de plaisir, forcément je suis ta chair et ton sang, alors quand tu me prends dans ta bouche l’ajustement est parfait, le rythme ne souffre aucune critique, c’est du Mozart pur canne le long de mon sexe.

15 oct. 2009

Ian McEwan

Sous les draps et autres nouvelles est un recueil de nouvelles écrites par Ian McEwan et éditées à l'origine en Angleterre en deux ouvrages différents en 1975 et 1978. On y trouve Morte jouissance dont est tiré l'extrait ci-dessous, qui raconte la passion amoureuse d'un riche homme d'affaires pour un mannequin en plastique rencontré dans un grand magasin.

Ian Mc Ewan a obtenu de nombreux prix littéraires dont le fameux Booker Prize en 1998 et en France le Fémina étranger en 1993.


Je lui ai livré la teneur de mes pensées, alors que j’étais devant le feu de bois avec mon verre de porto. J’ai évoqué l’avenir, notre avenir commun. Je lui ai dit que je l’aimais, oui, je crois le lui avoir répété de nombreuses fois. Elle écoutait avec l’attention silencieuse que je devais apprendre à respecter en elle. Elle m’a caressé la main, elle a posé sur moi un regard émerveillé. Je l’ai déshabillée. La pauvre petite. Elle n’avait aucun vêtement sous son manteau, elle n’avait rien au monde que moi. J’ai vu la frayeur écarquiller ses yeux… elle était vierge. J’ai chuchoté à son oreille. Pour l’assurer de ma douceur, de mon savoir-faire, de mon contrôle. Entre ses cuisses, j’ai caressé avec ma langue la chaleur fétide de son désir vierge. Je lui ai pris la main, j’ai disposé ses doigts dociles autour de ma virilité palpitante (oh la fraîcheur de ses mains). « N’aie pas peur, murmurais-je, n’aie pas peur. » Silencieusement, facilement, je me suis introduit en elle, comme un vaisseau géant entre dans son port nocturne. L’éclair de souffrance que j’ai vu brûler dans ses yeux, les longs doigts agiles du plaisir l’ont vite éteint. Je n’ai jamais connu pareille jouissance, pareille entente parfaite…presque parfaite, car je dois l’avouer l’existence d’une ombre impossible à dissiper. De vierge qu’elle avait été, elle est devenue une partenaire exigeante. Elle réclamait un orgasme que j’étais incapable de lui donner, elle ne me lâchait plus, elle refusait de m’accorder le repos. Toute la nuit inlassablement, elle se tenait au bord du gouffre, du plongeon dans la plus douce des morts…mais rien de ce que je faisais, et j’ai tout fait, je lui ai tout donné, n’a pu la faire basculer.

12 oct. 2009

Gabriel Garcia Marquez

Après l'explicite transgression queer du message précédent, voici celle exprimée de manière plus pudique par Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature en 1982. Dans Mémoire de mes putains tristes, publié en 2004 et probablement le dernier roman de l'écrivain, le narrateur est un vieil homme de 90 ans qui sentant la mort s'approcher, se paie un dernier amour en la personne d'une jeune vierge de 14 ans. Un projet mexicain d'adapter ce roman au cinéma a récemment soulevé une furieuse tempête de protestations.

Le soir de son anniversaire, j’ai chanté à Delgadina la chanson tout entière et j’ai couvert son corps de baisers jusqu’à ne plus avoir de souffle : chaque vertèbre, une à une, jusqu’aux fesses langoureuses, la hanche avec le grain de beauté, le côté de son cœur inépuisable. Plus je l’embrassais plus son corps devenait chaud et exhalait une fragrance sauvage. Chaque millimètre de sa peau me répondait par de nouvelles vibrations et m’offrait une chaleur singulière, une saveur distincte, un soupir inconnu, tandis que de tout son être montait un arpège et que ses tétons s’ouvraient comme des fleurs sans même que je les touche. Au petit matin, alors que je glissais dans le sommeil, j’ai entendu comme une rumeur de foule venant de la mer et un affolement dans les arbres qui m’ont transpercé le cœur : Delgadina ma bien-aimée, les brises de Noël sont arrivées.

11 oct. 2009

Dennis Cooper

Erotisme homosexuel et violence sont les deux ingrédients les plus visibles de l’œuvre transgressive et obsessionnelle de Dennis Cooper. Voici un extrait de la nouvelle Dîner, publiée dans le recueil Wrong en 1992.



Quelques danses plus tard, Tom suivait son partenaire au parking vers une Cadillac blanche garée à l’écart, derrière la bâtiment, près des poubelles. Dans le noir, il n’en était pas sûr, mais il lui sembla que les vitres étaient fumées.
L’homme déverrouilla les portières, ouvrit et lui fit signe de monter. Passant devant son compagnon poli, au bras tendu comme un chauffeur, Tom se glissa sur la banquette arrière en velours, jusqu’au fond. Son pied heurta une bouteille posée par terre. L’homme grimpa à ses côtés, et s’assura que les portières étaient bien fermées de chaque côté. Puis il farfouilla aux pieds du jeune garçon et attrapa la bouteille.
« Un peu de vodka ? » Il l’inclina en direction de Tom.
Ils se la partagèrent tandis que l’homme observait Tom, et que ce dernier essayait d’avoir l’air naturel. Une fois la bouteille vide, il n’y eut plus rien entre eux.
L’homme lécha l’oreille de Tom. « Si on enlevait ton pantalon ? » murmura-t-il.
Tom souleva ses hanches. L’homme fit glisser son jean. Il lui arracha ses baskets, puis Tom se pencha et enleva lui-même ses chaussettes.
Il sentit la bouche de l’homme sur sa bite encore un peu molle. «Ça devrait l’aider à durcir », pensa-t-il. Mais l’homme eut beau tout faire, si ce n’est la lui arracher à coups de dents, elle ne se raidit pas.
L’homme se reposa quelques secondes en embrassant cette queue de plus en plus ramollie, caressant machinalement les jambes de Tom. Il hésitait à faire jouir le garçon d’une autre manière, ou à se contenter de simplement suivre son plan. Ce gosse était un ange. Il avait de longues jambes hirsutes, mais partout ailleurs, c’était de la porcelaine. Son corps était svelte, et en plongeant dans ses yeux, tournés ailleurs, pleins de pensées impénétrables, il eut la confirmation de la beauté de son visage.
« Très bien. Pourquoi ne te mettrais-tu pas quatre pattes, face à la vitre ? Je veux dire, tu connais la position ? »

8 oct. 2009

Mehdi Belhaj Kacem

Mehdi Belhaj Kacem a écrit trois romans qui ne laissent pas indifférents. Certains crient au génie, d'autres à l'imposture. Le premier opus fut Cancer , écrit à moins de 20 ans et publié en 1994. Accrochez-vous!

elle halète lascive bave sa langue ne touche plus les lèvres mais salive l’air en fendillant tandis qu’elle se tortille
- Ouih !
il
arrache les délicats vêtements passe aux chaussures de même les siens elle aime enfin à fond il exhibe son bas-ventre ithyphallique sous le nez partenaire l’indéchiffrable peur revient à la charge lui ébloui de glace hérissée dans des sons d’acides ressacs battant l’esprit saturant ses tympans du dedans il s’agenouille face à la toison sacrée du publis Sublime Hosanna fusent de tous cotés l’horreur hurlant engueulant ses tympans il lèche en inconscience et inanition tout démoli de raids sonores et lames lumineuses rouges comme sa rate portée à ébullition mangée par la plante des pieds à repasser vif la vulve humide pantèle de délice
- Ouih ! Ouih !
décidant de ne pas insinuer sa langue de go il se contente des rebords du mythique petit organe érectile
infecte d’insipidité et ma langue circule luné lui fait court-circuiter le fluide nerval tête se dévissera bien de jouissance à genèse linguale secousse 9 échelle Richter ramassis de charcuterie blancheur ferme je cherche et trouve miser sur lui elle en trop qu’elle n’en puisse plus de volupté meurs où est-il enfin le voici t’es fait attendre vieux en personne le clitoris surgit irrigué de sang frétillant accompagné de feulements rauques
lape
lape Tout moi au milieu régal que ceci
il flatte de sa langue le petit bouchon rouge sirop luxurieux vraie sanie empoisonnée touche signal d’alarme générale enfoncer en cas d’incendie l’eau extinctrice vous soit lâchée en pleine gueule ardente constatez que le dispositif de sécurité ô combien au point nul danger sérieux sitôt l’incendie se déclare aussitôt éteint de suc submersion buccale comme immersion des vues par lumière brune tannée rongement son et lumière tout à nu
et je remercie le Tout
de ce suc eucharistique inodore et si nauséeux pourtant submerge ma gorge en lutte à la bile montante
tout aussi intense que le doute au réveil
mal aux veines
elle écarte complètement jambes frappées d’éclampsie préorgasmique sous l’afflux incessant d’urée de plaisir huitième ciel un peu plus enfoncé dans le vestibule
je l’aime d’Amour de tout mon être délicieuse pisseuse de jus U.H.T. lèche et pourlèche jusqu’au tréfonds
- Ouih ! Ouih ! Ouih !
le salut par l’Amour oh dieu dieu l’aime pouff permanente au harem de l’inexisté Tout Amour partout et en ombre en chair se contorsionnant secousses dictées par l’habileté de ma langue mais à la lécher si sérieux et appliqué j’en omets ma bitoune elle aussi a ses besoins en priorité
il se relève elle se pâme face
à la vision de sa pine paraissant plus vultueuse encore que tout à l’heure ravissement médusé impatience inflammables fumets émis en guise d’invitations en plus des susurrations
- Vienh !

6 oct. 2009

William Gass

L’écrivain américain William H. Gass a essayé de casser la narration traditionnelle et de développer une littérature anti-réaliste . Le Tunnel est un livre culte aux Etats-Unis, particulièrement ardu, publié en 1995 après 26 ans de travail. L’écrivain Claro a mis 6 ans pour le traduire en français. La version française est un pavé de 720 pages et un cauchemar typographique.



Un très modeste extrait :

Salut, monsieur mon mari,
Crois bien que je déplore les désagréments et le désarroi qu’a pu te causer ma répugnance buccale, mais j’ai été empoisonné un jour par une gerbe de sperme venue d’une imagination malade et j’ai dû utiliser pendant quinze jours un dentifrice spécial. Ça m’étrangle rien que d’y penser, même si ça remonte à plusieurs hivers, quand j’étais encore toute jeune et printanière.
Je suis sûre qu’un petit fumier comme toi comprendra.

4 oct. 2009

François Weyergans

En 2005, huit ans après son précédent roman, François Weyergans publie Trois jours chez ma mère, récit d'un écrivain qui n'arrive pas à écrire son roman, récit miroir aux multiples reflets. Ce livre a obtenu le Prix Goncourt.

Au Lido , ils avaient chacun une chambre mais dans l’une de ces chambres dormait une amie de Liisa et dans l’autre s’inquiétait ou s’affolait Isabella, la jeune épouse de François Graffenberg qu’on aurait étonnée en lui disant qu’il essaierait trente ans plus tard de décrire cette nuit d’amour dans un roman.
François avait esquissé une page de notes sur cette nuit-là : « Liisa en robe longue, velours et mousseline de soie. François Weyerstein en smoking. Errance toute la nuit dans Venise. Rues désertes. Ils s’arrêtent tous les dix mètres pour s’embrasser. C’est la cinquième fois qu’il vient à Venise, une ville que Liisa, arrivée l’avant-veille, découvre avec lui. Les hôtels qu’il connaît, le Bonvecchiati, le San Fantin, l’Ala, ceux de la Riva degli Schiavoni, même le Danieli trop cher pour eux, portes fermées. Ils sonnent, on leur dit que c’est complet. Ils marchent beaucoup. Liisa finit par enlever ses escarpins à talon aiguille. Sur la Piazzetta, les chaises des cafés n’ont pas été rentrées. Liisa s’assied sur les genoux de Weyerstein qu’elle embrasse dans la bouche. Ils se remettent à marcher. Un campiello, un autre baiser, un sottoportico, encore un baiser, les canaux, les ponts. Ils traversent dix fois le même campo. Liisa a les épaules nues, des épaules arrondies, un peu grasses, moelleuses, on dirait des confiseries orientales dans une ville qui l’est aussi, des épaules qui brillent et que le narrateur dévore, caresse, embrasse comme s’il avait quinze ans – il en a vingt-trois. Elle le masturbe. Elle a du sperme sur la main. Elle rit en se léchant la main. A genoux devant elle, il soulève la robe, descend la culotte, elle dit : « Non, pas ici ! » Il a la moitié du corps sous la robe longue de Liisa. Il aime l’odeur et le goût de son sexe. Elle jouit en tremblant. Elle tombe sur lui. Ils tombent tous les deux. Leurs vêtements sont froissés. Le jour se lève. Ils découvrent le marché en bas du pont du Rialto. Contraste entre les marchands, les premiers acheteurs matinaux, les poissons et ce jeune couple en tenue de soirée. Place Saint-Marc, la basilique vient d’ouvrir ses portes. Nouveau contraste entre les fidèles venus assister à la première messe et ces jeunes gens dont il n’est pas difficile de deviner qu’ils ont joui plusieurs fois dans la nuit. Liisa a remis ses escarpins et marche sur le merveilleux dallage de la basilique. Les yeux verts de Liisa éclairés par les cierges dont elle s’approche. Elle est actrice de cinéma, elle a le sens de la lumière. A l’hôtel, Weyerstein retrouve sa femme en pleurs, folle de rage et d’inquiétude. Elle l’a cherché toute la nuit, elle est allée à l’hôpital du Lido. Il répond qu’il était à Venise avec un producteur et qu’il a dû attendre le premier bateau. « Les premiers bateaux n’arrivent pas au Lido à midi. Salaud, tu es un salaud ! Et c’est quoi ce parfum ? Tu pues ! Salaud ! Salaud ! »

1 oct. 2009

Julio Cortazar

Roman labyrinthe publié en 1963, Marelle peut se lire dans l'ordre des chapitres ou dans un ordre différent proposé par l'auteur. C'est entre autres une histoire d'amour entre Horacio Oliveira et la Sybille.

Oliveira aimait faire l’amour avec la Sybille car il n’y avait rien de plus important pour elle, même si, d’une manière incompréhensible, elle restait comme en deçà de son plaisir, le rejoignant parfois, s’y accrochant, le prolongeant désespérément, c’était alors comme un éveil, comme apprendre son véritable nom, puis elle retombait dans une zone un peu crépusculaire qui enchantait Oliveira car il se méfiait des perfections, mais elle, elle souffrait véritablement quand elle revenait à ses souvenirs, tout ce à quoi, obscurément, elle aurait dû penser et ne pouvait penser, il fallait à ce moment-là, l’embrasser profond, l’appeler à de nouveaux jeux, alors l’autre, réconciliée, grandissait à nouveau sous lui et l’emportait, elle se donnait avec une frénésie de bête, les yeux perdus, les doigts crispés, mythique et atroce comme une statue roulant la pente d’une montagne, déchirant le temps de ses ongles, de ses sursauts et d’une plainte rauque qui n’en finissait pas. Une nuit, elle lui planta ses dents dans l’épaule et le mordit au sang parce qu’il se laissait aller de coté, un peu perdu déjà, il y eut alors entre eux un pacte silencieux et confus, Oliveira sentit que la Sybille attendait de lui la mort, un être obscur en elle réclamait l’anéantissement, la lente estocade sur le dos qui fait éclater les étoiles et rend l’espace aux interrogations et aux terreurs. Ce fut l’unique fois où, excentré de lui-même comme le matador pour qui tuer est rendre le taureau à la mer et la mer au soleil, il maltraita la Sybille, il la fit Pasiphaé, il la retourna et la prit comme un adolescent, il l’explora et exigea les servitudes de la plus triste putain, il l’éleva au rang de constellation, il la tint dans ses bras fleurant le sang, il lui fit boire la semence qui glisse dans la bouche comme un défi au Logos, il suça l’ombre de son ventre et de sa croupe et la remonta à son visage pour l’oindre d’elle-même en un acte ultime de connaissance que seul l’homme peut donner à la femme, il l’exaspéra à force de peau, de poils, de baves et de plaintes, il la vida jusqu’à la dernière goutte de sa force et la rejeta enfin sur l’oreiller, pleurant de bonheur contre son visage qu’une nouvelle cigarette rendait à la nuit de la chambre et de l’hôtel.